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Luxembourg, pourtant, le lendemain, profitant d’un instant de calme, « coule doucement » à l’évêque que le Roi interdit de façon absolue toute attaque et toute entreprise, jusqu’au jour où l’armée française sera « à portée de le soutenir. » Rien n’égale, à ces mots, le « chagrin » de Galen. Il est prêt, s’exclame-t-il, à quitter la partie, à se retirer dans sa ville « pour y dire son bréviaire, » plutôt que « se voir exposé, en ne faisant rien, à perdre la réputation qu’il s’est acquise ! » Le tout, dit Luxembourg, « accompagné de larmes, et d’un air qui me toucha de compassion pour lui. » Ce grand désespoir, il est vrai, aboutit un moment après à d’instantes demandes de subsides, mais la scène est si bien conduite que Luxembourg, — d’ordinaire peu sensible, — se laisse prendre à celle comédie et paraît tout apitoyé. Aussi conseille-t-il à Louvois de « faire quoique petite chose pour le soulagement de ce pauvre homme, qui a mis tout ce qu’il avait d’argent à faire des lovées, en sorte qu’il lui en reste peu… Croyez-moi, conclut-il, faisons-le entrer en campagne sans lui donner de chagrin, et, quand on sera une fois en besogne, les choses iront le mieux du monde. Mais il ne faut pas le rebuter, pour les bien enfourner. »

Louvois, au reçu de ces lettres, prit les incartades du « pauvre homme » moins doucement que son mandataire. « L’extravagance de M. de Munster, réplique-t-il d’un ton irrité, met le Roi hors de toute mesure. » Il faut « prendre un parti » et déclarer net à Galen qu’il n’aura ni troupes ni argent, qu’il n’ait exécuté les tonnes du contrat et ne se soit soumis aux ordres de Sa Majesté. « Vous savez bien, ajoute Louvois, vous qui étiez présent à Ottendorff, que M. de Munster n’y a pas été surpris, et que les choses y ont été assez débattues pour que sa bonne foi allemande ne lui ait rien fait faire dont il n’ait eu bonne connaissance[1]. » Au reste, et pour plus de sûreté, le ministre, à quelques jours de là, se résout à faire en personne un nouveau tour vers la frontière du Rhin. « Sa Majesté, dit-il, me commande de me rendre à Nuits le 19 ou 20 de mai prochain… Si M. de Munster pouvait s’y trouver, ce serait une grande affaire. » Un rendez-vous est pris avec Galen dans la ville de Kaiserswerth : « J’espère, dit Luxembourg, que, quand vous le verrez, vous en

  1. Lettres à Luxembourg, des 22 et 26 avril 1672. — Arch. de la Guerre.