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défendre les vérités de tous les temps par les armes de son temps, la femme d’aujourd’hui redeviendra pour l’homme la collaboratrice qu’était la femme d’autrefois. Les temps eussent-ils dégénéré, la femme a-t-elle autant dégénéré que l’homme ? Le régime politique où nous vivons depuis 1789 a amoindri en l’homme le caractère ; la discipline de parti l’a soumis à toutes ses volontés sauf la sienne ; la rupture des solidarités sociales l’a accoutumé à sacrifier tous les intérêts sauf le sien. La femme, à ne pas obtenir de droits politiques, a gagné de ne pas perdre ses vertus naturelles et n’a pas appris la lâcheté cachée dans l’ambition. Elle est plus courageuse dans ses opinions, plus généreuse, plus dévouée à ce qu’elle aime, plus désintéressée.

Il faut rendre à la société le bénéfice de ces forces aujourd’hui presque inutiles. Elles sont inertes depuis que l’homme, sûr de suffire seul à l’œuvre de la civilisation, leur a refusé tout exercice et n’a plus fait de la femme la compagne de sa pensée. Il faut, pour les rétablir, la coopération de l’homme et de la femme. Le premier effort incombe à l’homme. Il a jugé bon d’accroître par l’inégalité de culture, l’inégalité d’intelligence entre les deux sexes, il s’est réservé tout le savoir sérieux. Lui seul peut donc, au moins au début, introduire la femme dans ce domaine dont il a usurpé le monopole, lui montrer les chemins des hauteurs qu’elle veut gravir à son tour. Et l’homme doit ce secours à la femme, car tout ce qu’il lui a refusé de savoir est une injustice commise envers elle, un dommage dont il ne faut pas ajourner la réparation. Plus le chrétien réfléchira, plus il comprendra que l’élan de notre temps pour la science est un élan vers la vérité ; que, si le savoir superficiel contient un péril pour la foi et la morale, un savoir plus profond apporte des appuis à l’un et à l’autre ; et que la vérité ne se contredit pas. Il sentira que la femme a besoin comme l’homme de ces témoignages, de ces preuves, de ces clartés. Il partagera avec elle généreusement le bien qui leur est commun. Il aura, s’il est conséquent avec lui-même, plus de sollicitude, de fiertés et d’ambitions pour l’associée du foyer durable, de la vie entière et des espérances immortelles, que le sceptique et le matérialiste pour la voisine de hasard, l’amie de plaisir, la compagne d’un jour. Et plus il s’inspirera de ses croyances, pour rendre la femme instruite, honorée, influente, plus il fera un acte habile ; mieux il la servira, mieux il se servira.