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du roi, l’obligea à s’agenouiller devant lui et l’emmena prisonnier avant que ses sujets eussent eu le temps de le défendre.

L’allaire du chemin de fer de Delagoa-bay à Pretoria fut plus grave encore et plus significative. Quand il fut question de construire cette ligne, un syndicat portugais offrant toutes les conditions nécessaires de solvabilité et d’honorabilité se présenta, demandant seulement une garantie d’intérêts de 4 ou 5 pour 100, ce qui n’avait rien d’exagéré, si l’on considère les difficultés de la voie à tracer qui passe, surtout dans sa première partie, par un pays très accidenté, exposé à des pluies torrentielles et infesté d’animaux sauvages. La concession allait être accordée, quand un de ces aventuriers américains, lanceurs d’affaires hasardeuses, comme il en court tant par le monde, nommé Mac-Murdo, demanda, au nom d’un groupe de capitalistes yankees et surtout anglais, à construire la ligne sans garantie d’intérêts ; le ministère portugais, sans défiance et persuadé qu’il réalisait une heureuse économie au profit de son pays, qui en a tant besoin, accepta. La Delagoa-bay and East-African Railway C° travailla très lentement et mal, établit la ligue dans de mauvaises conditions, exécuta des travaux défectueux, incapables de résister à la violence des agens atmosphériques et au passage des trains lourds, et qui, en raison de l’insalubrité du pays et des difficultés techniques que l’on rencontra, coulèrent très cher, si bien que dans l’été de 1889, au moment où les délais d’achèvement du chemin de fer étaient près d’être épuisés, non seulement le syndicat avait encore une cinquantaine de kilomètres à construire, mais il était complètement sans ressources pour venir à bout de ses travaux.

Deux mois restaient à courir, il était évident que la Compagnie épuisée ne pourrait, dans ce court délai, tenir ses engagemens ; la forée des choses allait donc amener la déchéance du syndicat concessionnaire et le retour du chemin de fer à l’Etat. C’est à ce moment même que, par une aberration inexplicable, le ministre de la Marine, brusquement, sans consulter ses collègues, prononça la déchéance de la compagnie. Celle-ci aussitôt, exploitant cette heureuse chance, argua qu’elle avait été spoliée et réclama une indemnité dont le gouvernement portugais dut admettre le principe, mais dont il laissa le soin de fixer la quotité au jugement de la cour arbitrale de Berne, où ses avocats pourraient faire valoir la façon déplorable dont la Compagnie