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parcourant les journaux de Londres et de Lisbonne, si la côte du Mozambique ne serait pas en passe de redevenir, comme aux âges heureux chantés par La Fontaine, une manière de paradis terrestre où fleurirait la véritable amitié. Trompeuses apparences, hélas ! Des deux amis d’aujourd’hui il est bien vrai que l’on pourrait dire, comme dans la fable :


L’un ne possédait rien qui n’appartint à l’autre !


Mais c’est que « l’autre, » en l’espèce, a, de plus que son intime, la force, et a montré qu’il savait au besoin en user. Dans la réalité actuelle, les Anglais ont bien la libre disposition, comme si elle était leur propriété, de la colonie portugaise du Mozambique ; mais c’est ici que cesse la ressemblance entre la vérité et la fiction ; il n’y a pas réciprocité de bons offices, et, pour que l’amitié soit réelle et durable, il y manque un élément indispensable : l’égalité. L’intimité proclamée si bruyamment à Lisbonne n’est pas née d’un élan du cœur ou d’une conformité réelle des goûts et du génie de deux nations, mais de la dure nécessité de la loi du plus fort. Neutralité très bienveillante, libre usage de ses ports et de ses chemins de fer, « porte ouverte, » l’Angleterre a tout demandé au Portugal ; et, en échange, qu’a-t-elle donné ? Le droit pour son allié de conserver ce qui est à lui, ses propres colonies ; l’ogre, pour aujourd’hui, limite ses appétits et, occupé à digérer un trop gros et trop dur morceau, garantit à ses heureux voisins qu’ils ne seront pas mangés comme ils Tout été, à moitié, voilà dix ans. Le bon billet qu’a là le roi de Portugal ! En vérité, l’alliance proclamée n’est pas un mariage d’amour, c’est une triste union de raison. Quelles en sont donc les raisons ?

A l’alliance nouvelle, le Portugal gagne de garder intactes ses colonies de l’Afrique du Sud. Possession précaire à la vérité, puisqu’elle dépend du bon plaisir de l’Angleterre, qui a montré que les traités ne sont jamais un obstacle à la réalisation de ses desseins ; mais le Portugal, encouragé ; par les résultats heureux de ces dix dernières années et par les progrès de la colonisation du Mozambique, espère sans doute développer ses intétêts sur la côte africaine, y multiplier ses établissemens et ses colons, si bien qu’il deviendrait de plus en plus difficile, de plus en plus odieux, de renouveler l’opération de 1890 et d’achever la spoliation. Peut-être espère-t-il aussi qu’en tenant pendant