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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/100

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mais il nous vient quelque envie de revoir ces lieux pleins de soleil où l’art a fleuri : c’est une sorte de nostalgie des civilisations qui survivent en ces antiques provinces ; et c’est alors, si nos yeux ne sont pas trop mauvais et si la vieillesse nous est clémente, que nous nous instruisons, à notre manière, souvent le sac au dos et l’alpenstock à la main. C’est alors aussi que nous passons en revue certaines idées que nous avons sucées avec le lait… Et c’est ainsi, Monsieur, que vous me voyez aujourd’hui dans ce musée et que, malgré la taciturnité britannique, je n’ai pu m’empêcher de trahir, devant vous, les sentimens d’admiration que j’éprouve pour ces magnifiques débris de l’antiquité.

Moi. — Il est impossible d’en parler avec plus de compétence et d’enthousiasme.

L’Anglais. — Monsieur, je viens de passer huit jours dans les Arènes. J’y ai vécu seul, pour ainsi dire, avec les hirondelles, à peine dérangé par le passage rapide d’un touriste. J’en ai été chassé seulement, hier, par les organisateurs de la course de taureaux, et je les ai donnés au diable, eux et leurs bêtes ; car ils ont troublé une des époques marquantes de mon existence. Mon appareil de photographie, que vous voyez pendu à mon épaule, me sert à voir et à bien voir. Pour l’objectif, il faut faire un choix, c’est-à-dire regarder et comparer. C’est ainsi que l’on pénètre dans l’âme des choses ; la vue des yeux est superficielle ; il n’y a que la vue de la volonté et du souvenir qui soit profonde. Or, l’objectif est une attention et une mémoire. Ce monument, ainsi étudié, est incomparable

Le gardien crut devoir placer un mot. — « Mais, Monsieur, dit-il, le Cotisée est plus grand. »

L’Anglais. — Un rocher est grand et une perle est petite… Dans ces journées délicieuses. Monsieur, j’ai essayé de pénétrer le secret, qui ne pourrait s’expliquer que par des calculs et des rythmes, non par des mots, de cette étonnante construction. Vos archéologues m’ont appris que des nombres mystérieux réglaient les proportions de cet immense édifice, qui n’est qu’une magnifique et harmonieuse équation algébrique réalisée. Avec M. Aurès, je cherchais, dans les différentes parties du monument, la multiplication constante et variée à l’infini du module de la colonne ; j’essayais de découvrir la vertu symbolique des nombres carrés ou impairs que les anciens enfermaient, si je puis dire, dans leurs œuvres, comme des génies bienfaisans.