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L’Anglais. — Et il y aurait ceci d’original que ces morceaux se trouveraient être, en somme, ou copiés d’après l’art antique ou exécutés suivant son inspiration. Car je ne vois pas que la civilisation britannique, qui domine et approvisionne les Indes et l’Océanie, ait produit, spontanément, beaucoup de chefs-d’œuvre comparables à ceux qui sont réunis dans ce petit musée.

Moi. — L’Angleterre se rattrape sur les cotonnades.

L’Anglais. — Voulez-vous dire, Monsieur, que la civilisation ne se mesure pas au tonnage de la houille ou au métrage des étoffes ?

Moi. — Je crois bien que nous pensons de même sur ce point.

L’Anglais. — Plus je compare, plus je voyage, et plus je sens se modifier en moi des sentimens et des convictions auxquelles je tenais comme à ma vie. En vérité, Monsieur, parmi nous, beaucoup de ceux qui ne se fixent pas dans les parages d’Oxford ou de Cambridge sont, j’en conviens, assez ignorans. Vous reprochez souvent à vos jeunes gens d’être des forts en thème. Ce ne sont pas les thèmes qui nous étouffent. Nous disons d’un homme qu’il est fort, quand il a de bons biceps et des reins pour la lutte. Mais, plus tard, la vie nous forme, et il s’éveille en nous de nouvelles curiosités.

Moi. — J’ai toujours admiré l’instruction autodidacte et les vues originales des Anglais d’un certain âge que j ai rencontrés.

L’Anglais. — Oui, cela nous vient peu à peu. Nous sommes lents à mûrir ; mais, avec le temps, nous nous débrouillons. Et puis, il y a notre fichue timidité qui nous donne un vilain orgueil. Et alors, ne voulant apprendre que par nous-mêmes, souvent nous restons dans l’ignorance parce que nous restons dans le silence. Mais, comme je vous le dis, la vie nous forme.

Moi. — Il suffit de vous écouter. Monsieur.

L’Anglais. — Ce sont de vos propos aimables à vous autres, Français... On nous répète sans cesse qu’il faut être pratiques. Alors, comme cela convient à la paresse intellectuelle d’une partie de notre jeunesse, à son goût pour la vie en plein air, et, je crois pouvoir le dire, à son esprit de décision et à son sens inné des affaires, nous fermons, le plus tôt possible, les livres d’étude, et nous restons... comment dites-vous ? des Béotiens. Quand nous rentrons chez nous, après fortune faite, nous y trouvons, assurément, la vie libre et pleine, un grand confort, l’orgueil d’être citoyen d’une des plus grandes patries du monde ;