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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/154

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il fallait se mal tenir en présence des rois. Ce fut là l’école de Gambetta : le futur inventeur de la République athénienne brûla devant une République bohème le premier encens de son éloquence. Il réclamait, en ce temps-là, La suppression des armées permanentes ; il prêtait sa signature à son ami Jung, pour la mettre au bas d’un article où le futur général républicain se plaignait que les troupes prussiennes ne fussent pas assez démocratiques et réclamait que les troupes françaises fussent délivrées de leurs oripeaux ; il écrivait à un journal de Lyon, qui s’appelait l’Excommunié, pour adhérer à une manifestation contre le concile du Vatican, machinée par des Napolitains : « Je ne mets rien, déclarait-il, au-dessus des intérêts de la libre pensée. »

Le chemin de Tours lui fut un chemin de Damas : il ne mit rien, désormais, au-dessus des intérêts de la patrie. Cet ancien champion des milices se garda soigneusement, — Von der Goltz lui en fait une louange, — de « flatter les caprices de la populace et de prendre sans motif la défense des bataillons de gardes nationaux contre leurs chefs ; » il apprit la valeur de l’esprit militaire et d’un long apprentissage du métier des armes, en constatant l’héroïsme des armées qu’il créait et la fuite trop fréquente de la victoire ; et pour lui, comme pour Von der Goltz, cette aventure de bravoure, dont six mois durant la France courut les risques, fut une forte leçon en faveur des armées permanentes. « Il fut grand comme ministre de la Guerre, « affirme l’historiographe allemand ; et l’histoire politique ajoute que ce fut par là, précisément, qu’il gagna des suffrages à la République. La France aima, dans la République, l’héritière de la Défense Nationale : elle crut voir l’auréole de sauveurs de la patrie sur le front de ces mêmes députés qui, en 1867 et en 1868, n’avaient songé, par haine de l’Empire, qu’à désarmer la patrie. Le parti républicain tout entier profita de cet effet d’optique, justifié, en quelque mesure, par l’attitude et l’éloquence de Gambetta.

Il est une idée, intimement gravée dans les âmes des simples, ces traditionnels dépositaires de la vérité, et trop souvent oblitérée, au contraire, dans les cerveaux qui se qualifient de distingués : c’est l’idée que la France est une personne, que, sous tous les régimes, cette personne a une vie qui vaut la peine d’être vécue, et qu’enfin, son rayonnement intellectuel sur le reste du monde, qui est pour beaucoup d’humanitaires le seul élément de sa grandeur, ne sera sauvegardé et respecté que si la France,