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Au lendemain de cette double victoire remportée par Gambetta sur la réserve de M. le général de Miribel et sur les suspicions du parti républicain, on inventa contre lui une candidature sénatoriale : celle de M. le major Labordère. Les électeurs sénatoriaux de Paris, désireux de voter contre le Gambettisme, exploitèrent la notoriété républicaine de cet officier. Il fut élu, réclama du Sénat, en juillet 1882, quelques modifications au code de justice militaire, provoqua, par ses critiques contre le principe de l’obéissance passive, d’éloquentes ripostes du général Chanzy et de M. le général Billot, recueillit trente-huit voix, entre autres celles de Victor Hugo, de M. Labiche, de M. Demôle, de M. Millaud, de Corbon, de Tolain, de Laurent Pichat, en groupa contre lui deux cent sept, parmi lesquelles celle de Jules Simon ; et quelques années plus tard, après un bref passage au Palais-Bourbon, — de crainte, peut-être, que les ennemis du militarisme n’abusassent de son nom, M. Labordère rentra loyalement dans le silence. L’élection Labordère fut pour Gambetta ce qu’avait été pour Thiers l’élection Barodet : elle commençait à sonner le glas de sa popularité républicaine.

Une revue cosmopolite à laquelle collaboraient plusieurs hommes politiques de la gauche émettait, au même moment, les plus expresses réserves sur le programme du grand ministère : « M. Gambetta, lisait-on dans cette revue, a-t-il entrevu pour la République Française le rôle de rallier hardiment les gouvernemens libéraux et les peuples sous la bannière d’une politique de paix, de justice et de liberté ? Son programme ne l’indique guère. »

Les États-Unis d’Europe avaient raison, et c’est encore M. Joseph Reinach qui nous explique, juste à point, que la France, au jugement de Gambetta, ne devait ni « faire de la démocratie pour l’exportation, » ni « pratiquer l’apostolat révolutionnaire. » Dès son arrivée à Tours, en 1870, l’apôtre de la Défense Nationale avait fait venir Barni, l’ancien président du Congrès genevois de la Paix et de la Liberté, pour lui confier la direction du Bulletin des Communes et associer ainsi ce missionnaire de la République universelle au laborieux enfantement de la République Française. Or, ses maximes de politique générale, à mesure qu’il en prit conscience et qu’il eut l’occasion de les appliquer, furent exactement l’inverse de celles de Barni. L’un se flattait d’être un humanitaire, et l’autre se piquait d’être un patriote ;