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sera faite. » Les idylles qui voilent la réalité, et qui paralysent ou dévient l’action, sont toutes proches d’être criminelles : telle était l’idylle que, dès 1874, la maçonnerie française, docile auxiliaire des congrès suisses internationaux, se plaisait à ébaucher, et dont on retrouverait encore les troublantes illusions jusqu’en 1882 et 1883, dans l’éloquence maçonnique de Caubet et de Macé. Mais, à l’encontre de ces déliquescences, le militarisme français, sous les auspices de Gambetta, continuait de se parachever et de faire respecter la France. L’Allemagne, naturellement, faisait aux espérances de ces cosmopolites amateurs l’accueil qu’elles eussent dû prévoir : en 1874, Bluntschli, qui était à cette date le véritable chef occulte de la maçonnerie allemande, fut interpellé par les États-Unis d’Europe au sujet de la question d’Alsace-Lorraine ; il riposta, tout net, qu’il ne condamnait que les annexions faites en temps de paix. Peu d’années après, un membre du Reichstag, pressenti au sujet d’un désarmement franco-allemand, écrivait qu’il y consentait, mais sur la base de l’Uti possidetis. Alors on rêvait, dans la revue genevoise, d’une Alsace annexée à la Suisse et devenant le pivot de la grande alliance des peuples contre le césarisme ; et les Alsaciens, tout de suite, protestaient. L’Alsace, du reste, instruite par les leçons de la guerre, et privée, depuis 1870, des leçons de Jean Macé, opposait une froideur presque unanime à ces combinaisons d’un humanitarisme rêveur. Les États-Unis d’Europe traitaient en « ami » Louis Leblois, de Strasbourg ; il était peut-être, là-bas, leur seul ami. L’Alsace aimait mieux regarder vers Paris que vers Genève, vers Gambetta que vers Garibaldi.

En rapprochant ici ces deux noms, nous n’essayons point une opposition factice : car, de même que Gambetta, ramassant sur la patrie blessée l’ardeur de son âme, symbolisait à cette époque, en toute sa pureté, le patriotisme national, de même Garibaldi, laissant absorber sa lasse vieillesse par la tyrannie d’une idée fixe, se montrait en toute occurrence le plus étrange prédicateur d’internationalisme humanitaire. On se rappelle ses furieuses invectives contre Thiers, coupable de nous rendre une armée. Il insistait auprès de Mme Goegg, l’une des instigatrices des congrès suisses de la paix : « Il est bien temps, lui écrivait-il, le voir le monde purgé de ces deux fléaux : le sabre et la soutane. » Le relèvement moral de la France, et cet effort de groupement entre toutes les forces vives de la nation, qui arrachait