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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/164

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Genève de 1877, pour sa résistance au Seize-Mai ; on gênait Ferry plus qu’on ne l’honorait, en lui rappelant, en 1879, dans une lettre où on le complimentait de ses projets scolaires, qu’il avait, sous le Second Empire, assisté au congrès de Lausanne. « Continuez, lui disait-on ; la solidarité des peuples fait qu’en travaillant pour la France, vous travaillez pour l’Europe. » On touchait à tout dans ces congrès et dans cette revue, mais en réalité l’on ne pensait qu’aux choses de France. Notre deuil national, au regard de ces observateurs, était presque un péché contre l’idée républicaine ; ils applaudissaient Garnier-Pagès disant à Genève, en 1873 : « Oui, l’Allemagne a son Empereur, et la France est délivrée du sien : quelle est la nation à plaindre ? » Pas plus que Garnier-Pagès, les membres de la Ligue de la paix et de la liberté n’inclinaient à nous plaindre longuement ; n’étions-nous pas le seul pays où leurs dogmes et leurs personnes pussent avoir accès au pouvoir ? Beaucoup d’entre eux, même, semblaient plus dévoués à l’idée de République qu’à l’idée de paix et plus soucieux d’envisager le contenu de la première idée que de mettre la seconde à l’étude ; la seconde, au fond, paraissait être un corollaire de la première.

Au demeurant, la question d’Alsace-Lorraine importunait les congressistes ; elle était une source de malentendus et de désillusions. Ils crurent, tout d’abord, que la démocratie allemande ne tarderait point à la résoudre ; certains esprits, hélas ! le croyaient aussi à Paris. Un vieux républicain, auquel sa haute situation dans les compagnonnages avait valu quelque célébrité, Agricol Perdiguier, écrivait, en 1871 : « Qui sait ce qui peut se passer d’ici quatre ou cinq ans sur la terre allemande ? si la Lorraine, si l’Alsace, ne nous seront pas rendues sans combats ? si nous n’aurons pas formé une magnifique confédération des peuples libres de l’Europe et du monde ? » Ainsi pensait-on dans les congrès suisses, et chaque année l’on y répétait : Qui sait ? qui sait ? La maçonnerie parisienne, impatiente déjà de rouvrir ses bras aux frères d’outre-Rhin, accueillait ces échos comme des augures : Emmanuel Arago, le futur diplomate, reçu au trentième degré, en 1874, par un haut dignitaire de la maçonnerie, dut entendre sans rire, vu la gravité du lieu, cette prophétie de l’initiateur : « Bientôt nous aurons la République du Rhin et nous nous fédérerons avec elle. Il faut le vouloir pour que cela soit. Le jour où la maçonnerie l’aura compris, la chose