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est indifférent au cœur de l’homme de croire trois ou quatre personnes en la Trinité. » Chacun peut, chacun doit mettre ces dogmes à sa portée, pour embrasser la foi sans répugnance, ni hésitation. Chacun peut, sur ces questions, se tromper pieusement, sans aucun mal. Les Livres saints donnent l’exemple : ils attribuent à Dieu des pieds, des yeux, une âme, un mouvement local, des passions, et c’est gratuitement qu’on suppose que ce sont des métaphores, car où finira la métaphore, où commencera le mystère ? Tant que je ne puis pas concevoir la vie chrétienne sans un Dieu personnel, tant que je ne la puis pas concevoir sans libre arbitre, ni immortalité temporelle, ce sont là des dogmes pour moi, jusque-là seulement. Les dogmes secondaires sont des moyens d’édification, moins grossiers que les miracles, accommodés à des esprits de plus grande culture, utiles tant qu’on ne les met pas en doute. Mais, dès qu’ils n’atteignent plus leur fin et veulent néanmoins s’imposer, ils deviennent cause de déchirement dans l’Eglise, de malheurs, de guerres, d’atroces absurdités.

Il faut alors que des esprits droits et pieux rendent à la sereine philosophie son domaine, et rappellent à la foi sa fin divine, le salut. La philosophie cherche la vérité. Il n’y a pas de question, si théologique qu’on la suppose, où elle puisse être gênée par la foi, car il n’y a pas un dogme pouvant donner lieu à controverses parmi les honnêtes gens qui appartienne vraiment à la foi catholique. La foi, de son côté, n’est pas une vérité, mais une pratique. Ce n’est pas celui qui expose les meilleures raisons qui fait preuve de la foi la meilleure, c’est celui qui accomplit les meilleures œuvres. Les fidèles ne peuvent pas accuser les philosophes d’impiété, les philosophes ne peuvent pas accuser les fidèles d’absurdité. Une opinion prise en soi, et sans rapport à la pratique, ne peut avoir ni piété, ni impiété ; n’est hérétique que ce qui porte à la rébellion, aux disputes et à la haine. Et, d’autre part, une croyance n’est pas absurde qui est un soutien de la vie morale. Croyez mille vérités : si votre vie est mauvaise, vous serez damné. Croyez mille erreurs : si votre vie est chrétienne, vous serez sauvé.


La pensée dernière de Spinoza est qu’on peut faire son salut par deux voies, par la connaissance ou par l’obéissance. La connaissance par l’entendement est tout aussi divine que la révélation.