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cette préparation obscure qui développa en lui un talent qui s’ignorait, il serait nécessaire de remonter à ses premières années. Malheureusement elles sont fort mal connues ; Tacite est du petit nombre des écrivains qui n’aiment pas à entretenir le lecteur de leur personne. Cette discrétion lui fait grand honneur, mais elle est nuisible à ceux qui étudient sa vie. Nous allons être réduits, pour en savoir quelque chose, aux très rares confidences qui lui échappent et à quelques renseignemens qui viennent de ses amis.


I

Un hasard nous fait connaître dans quel milieu il était né. Pline l’Ancien, parmi les anecdotes dont il a semé son Histoire naturelle, est amené à mentionner le nom d’un chevalier romain, son contemporain, qui s’appelait Cornélius Tacitus, et qui administrait les revenus de la Gaule Belgique. Ce devait être le père ou l’onde de notre historien, et par là nous apprenons qu’il sortait d’une de ces familles de chevaliers qui occupaient les charges de finance, dans lesquelles on faisait fortune. Il n’est donc pas tout à fait exact de prétendre, comme on le fait d’ordinaire quand on veut jeter quelque discrédit sur son impartialité, qu’il était bien disposé pour les grands seigneurs parce qu’il appartenait à leur caste, et qu’en prenant leurs intérêts, il défendait sa propre cause. C’était, comme on disait à Rome, « un homme nouveau, » ce qui voulait dire qu’aucun des siens n’était encore entré dans le Sénat. Il est probable que son père, qui possédait ce que donnaient ordinairement les charges équestres, la considération et la richesse, voulut que son fils montât plus haut et pût aspirer aux dignités curules. Il dut obtenir pour lui de l’empereur le laticlave, c’est-à-dire le droit de porter la robe blanche bordée d’une large bande de pourpre : c’était la façon ordinaire d’introduire un jeune homme dans les rangs de ceux auxquels étaient réservés les honneurs publics. Il était ainsi désigné d’avance pour la questure, et plus tard, si la fortune lui souriait, il pouvait arriver au consulat.

Pour atteindre à ces hautes destinées, il fallait d’abord que le jeune homme reçût une éducation très soignée. Tacite apprit sans doute ce qu’on enseignait de son temps, et, comme l’art de parler est celui dont un politique pouvait le moins se passer, il