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deux tiers de la Convention ; en fructidor an V, ils les avaient brisées par le sabre d’Augereau ; en floréal an VI, ils les avaient invalidées au profit de leurs candidats mis une fois de plus en minorité. Sieyès, aujourd’hui, allait plus loin dans cette progression, allait jusqu’au bout, et supprimait les élections. Le peuple ne participerait plus au choix de ses prétendus représentans que de façon tout indirecte ; il ne ferait plus les élus, il ne ferait que les éligibles. Au lieu de nommer des députés, il dresserait des listes de candidats, et encore ce droit de présentation s’exercerait-il sur un tel nombre d’individus qu’il deviendrait en fait illusoire.

C’était le fameux système des listes de notabilités : listes communales et départementales, liste nationale. Sur cette dernière, résultant d’une élection à trois degrés et passée par deux fois au laminoir, les choix législatifs seraient faits par un corps souverain, formé d’abord par les auteurs du coup d’Etat, se recrutant ensuite lui-même, corps permanent, inamovible, richement doté, puissamment établi, tirant son origine uniquement du fait accompli et de la possession acquise, le Jury constitutionnaire, qui s’appellerait le Sénat conservateur dans la rédaction définitive. Ce grand conseil des révolutionnaires nantis élirait le Tribunal, chargé de discuter la loi, et le Corps législatif, chargé de la voter silencieusement. Au sommet de la hiérarchie exécutive, il placerait le Grand Électeur, chargé de procréer les deux consuls de la paix et de la guerre, gouvernans véritables, et de se reposer ensuite dans une oisiveté dorée. Grand Electeur, consuls, hauts fonctionnaires dépendraient du Sénat, qui pourrait toujours les absorber, c’est-à-dire les appeler dans son sein et les y retraiter, prononcer leur inaptitude à toute gestion active et les révoquer en douceur. Les autorités d’ordre inférieur seraient choisies elles-mêmes sur les listes locales, mais les hommes ayant eu part aux fonctions pendant les dernières années figureraient de droit sur toutes les listes, en sorte que la Révolution pourrait toujours y retrouver et y distinguer les siens. Pour plus de sûreté, les listes ne seraient formées qu’en l’an IX et ne serviraient qu’aux renouvellemens partiels qui suivraient. Pour la première année, pour la période d’installation et d’établissement, les auteurs de la constitution nommeraient librement à tous les emplois législatifs, administratifs, judiciaires ; ils rempliraient à leur gré les cadres qu’ils auraient eux-mêmes formés. Le système