quoique la plupart soient arrivés assez vite à faire de grandes fortunes, le vieil esprit se conserva. La réforme vint surtout, ajoute Tacite, de l’exemple que donna Vespasien. C’était un bon bourgeois de Réate, d’une famille de soldats et de petits banquiers, qui détestait l’étiquette et les cérémonies pompeuses, qui n’était jamais si heureux que quand il allait revoir la maisonnette où il était né, et qu’au lieu de ces vases murrhins qui coûtaient des fortunes, il buvait dans le gobelet d’argent qui avait servi à sa grand’mère et lui rappelait sa modeste enfance. L’exemple de l’empereur et le désir de lui plaire en l’imitant fut plus efficace que toutes les lois somptuaires de l’ancienne république.
Ces renseignemens sont tout à fait confirmés par la correspondance de Pline. On sait que Pline mettait une sorte de coquetterie à être en relation avec tout ce qu’il y avait de gens de quelque importance. Or, il est rare de rencontrer, parmi ceux auxquels il écrit, des noms qui appartiennent à l’ancienne aristocratie. De ces descendans de la liberté, posteri libertatis, comme il les appelle, la cruauté des Césars en avait bien peu laissé. Tout récemment encore Vitellius venait de faire mourir un Dolabella, qui n’avait commis d’autre crime que de sortir de la famille des Cornelii. Aussi est-on tout surpris, après qu’on avait tué tant de Pisons, d’en trouver encore un, en plein règne de Trajan, qui lit de petits vers devant une assemblée d’auditeurs complaisans. Mais c’est une exception ; presque tous les correspondans de Pline portent des noms nouveaux, et la plupart sont originaires des Gaules, de l’Afrique ou de l’Espagne. En général, ils ont fait leur chemin par des voies honorables. Les pères ont occupé chez eux des magistratures municipales ; les fils ont passé par l’armée, par les charges de finance, sont venus s’établir à Rome et y ont fait souche de sénateurs. Tous affichent un grand amour pour les lettres : c’est une façon de justifier et d’ennoblir leur fortune. Non seulement ils ont étudié l’éloquence pendant leur jeunesse : bien parler est un talent indispensable pour un magistrat romain ; mais ils s’occupent de philosophie ou même composent des élégies et des épopées. Je ne crois pas qu’il y ait une autre époque où l’on ait autant aimé la littérature ; Sénèque même trouve qu’on l’aime trop et qu’on en pousse le goût jusqu’à la manie : litterarum intemperantia laboramus. C’était en somme une société fort agréable, qui n’avait plus l’éclat et le grand air de celle des premiers temps de l’empire, mais où