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solennel, nous avons quelque peine à nous le représenter dans leur compagnie ; peut-être y était-il plus à l’aise que nous ne l’imaginons. Il est vrai qu’il les traite quelquefois assez mal : à propos de la femme d’un affranchi qui encouragea son mari à trahir son maître, il dit « qu’elle lui donna un méchant conseil, un conseil de femme. » Ailleurs, ayant à parler d’un personnage qui lui semble fort léger, un simple diseur de bons mots, il trouve « qu’il avait ce qu’il fallait pour plaire aux femmes. » Mais Sénèque en avait dit bien d’autres, ce qui ne l’empêcha pas d’être le protégé et le favori des dames romaines. Ces mots de Tacite ne sont d’ailleurs que des boutades ; il parle plus sérieusement, lorsqu’il fait remarquer « qu’il faut savoir d’autant plus de gré à une femme de se bien conduire, qu’on est plus sévère pour elle quand elle se conduit mal ; » ce qui est parfaitement juste. Sous Tibère, à propos de certains troubles qui s’étaient produits dans les provinces, on se demanda au Sénat s’il ne convenait pas d’empêcher les légats et les proconsuls, quand ils allaient les gouverner, d’emmener leurs femmes avec eux. Selon son usage. Tacite institue un débat contradictoire : un orateur accuse les femmes d’être causes de toutes sortes de désordres, quand elles accompagnent leurs maris dans leurs gouvernemens, et un autre les en défend. Les deux discours sont faits avec tant de soin et d’impartialité qu’on a peine à démêler entre les deux pour qui penche Tacite. Mais, ici, nous savons par ailleurs qu’il est avec ceux qui sont favorables aux femmes, puisqu’il emmena la sienne lorsqu’il quitta Rome après sa préture. Quant à celles qui ont joué un rôle politique et dont il est amené à parler dans ses ouvrages, il les peint surtout en les faisant agir, ce qui est la meilleure manière, et elles y sont très vivantes. Il fait voir, dans Messaline, à quelles folies peut être entraînée une femme qui a satisfait toutes ses fantaisies, qui s’est rassasiée des plaisirs ordinaires, et qui risque tout pour en trouver qu’elle ne connaisse pas. À cette figure il oppose celle d’Agrippine, aussi peu scrupuleuse que l’autre, mais qui ne se sert de sa beauté que pour sa richesse ou son ambition. Il nous dit qu’elle mena l’empire « avec une main d’homme ; » et cependant c’est une femme encore, car elle se perd par ses exigences, par sa vanité, en se montrant aussi avide des distinctions extérieures que de la réalité du pouvoir. Poppée s’attaque à Néron, le plus orgueilleux, le plus susceptible des princes, un véritable enfant gâté ; et, comme elle voit que la