envoyait en même temps des preuves palpables. La communication n’avait plus d’utilité directe, car la Chambre venait à l’instant même de voter la loi. Rœderer, néanmoins, s’acquitta de la commission et redemanda la parole : « il paraît à la tribune, un rouleau de papier à la main. — Au moment, dit-il, où vous venez de donner à la France une administration ferme et paternelle, vous apprendrez avec plaisir un événement qui achève de rendre aux lois de la République les départemens qui s’y étaient soustraits. Le Premier Consul me charge de vous annoncer la prise de Frotté et de tout son état-major. Cette capture a eu lieu dans un château du département de l’Orne. Voici une partie des effets mobiliers pris sur lui : ce sont des croix de Saint-Louis, des fleurs de lys, des cachets aux anciennes armes de France et des poignards de fabrique anglaise ; » et toute l’assemblée de se lever, en criant : Vive la République ! La dépouille du malheureux Frotté fut présentée, étalée ; la lettre consulaire permettait expressément que l’on fît voir aux législateurs « ces raretés ; » tristes débris de guerre civile, vilains trophées ! Bonaparte en avait eu de trop beaux à montrer pour exhiber ceux-là.
Il pouvait désormais s’établir aux Tuileries, sans être accusé d’y préparer les logemens du roi. Pour bien montrer qu’il allait y glorifier la République en sa personne, il s’avisa d’une dernière précaution. Washington venait de mourir ; en rendant des honneurs extraordinaires à la mémoire de ce fondateur d’un État libre, Bonaparte prouverait qu’il le choisissait pour modèle et n’enviait que sa gloire pure.
Par ordre, l’armée française dut prendre le deuil : « pendant dix jours, des crêpes noirs seront suspendus à tous les drapeaux et guidons de la République. » Au Corps législatif, un membre avait demandé que le président prononçât l’éloge du grand Américain ; le gouvernement confisqua l’idée à son profit. Il fut décidé qu’une manière d’oraison funèbre serait solennellement prononcée dans l’hôtel des Invalides, Temple de Mars, où seraient déposés le même jour les drapeaux conquis par l’armée d’Egypte. La cérémonie se fit avec grand éclat, en présence des corps constitués, et le citoyen Fontanes, littérateur fructidorisé, admis à reparaître avec ses compagnons de malheur, soumis encore à une surveillance qui ne serait levée que le lendemain, fut délégué pour la première fois au département de l’éloquence officielle. Sur Washington et Bonaparte, sur leurs noms accolés, il