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le monde a des lumières et des projets, des opinions et des certitudes là-dessus, exactement comme si ce n’était ni une science ni un art, ou comme si c’était une science à tout le monde infuse, un art que tout le monde ait, en naissant, dans le bout des doigts. De là la confusion, le désordre, le gâchis ; sorte d’arlequinade où l’ignorance de l’électeur n’a d’égale que l’ignorance de l’élu, et l’incompétence du citoyen que l’incompétence du ministre, lequel souvent, — c’est bien simple, — sait tout, excepté les lois et les mœurs, les livres et la vie, les choses et les hommes ; foire nationale, jeu de place publique, grosse farce où prend part le peuple tout entier, onze ou douze millions d’acteurs, battus, battans, dupans, dupés.

En devenant démocratique, la politique est devenue littéralement épidémique. Que tout le monde en fasse tout le temps, on se doute bien que cela ne rend pas plus aisé de la faire bonne ; et la difficulté tournerait à l’impossibilité même, s’il n’entrait heureusement en cet étalage de démocratie une forte part de trompe-l’œil et de fiction. Les foules, en effet, ne mènent pas, elles sont menées ; elles n’agissent pas, elles subissent : il suffit, par conséquent, pour les prendre et capter la force qu’elles contiennent, d’agir sur ceux qui les font agir. Mais la difficulté en sera diminuée, elle ne sera pas détruite : car, ceux qu’il faut avoir, on ne les aura que par la passion, l’ambition ou l’intérêt, c’est-à-dire qu’on ne réussira qu’en se formant et en se conservant un parti ; mais, là où le gouvernement repose sur les partis, la politique est comme prise et enfermée dans un cercle vicieux, puisque, d’une part, on ne peut arriver et se maintenir sans s’appuyer sur un parti, sans exciter et satisfaire la passion, l’ambition, l’intérêt, tandis que, d’autre part, une fois arrivé, on devrait ne plus être ni un homme de parti, ni l’homme d’un parti, et ne plus connaître ni. l’intérêt, ni l’ambition, ni la passion, mais seulement la réalité et la nécessité sociales.

La conclusion, — j’ai honte qu’elle soit si banale et voilà bien des affaires pour en venir là ! — c’est que, soit comme science, soit comme art, la politique est un métier très difficile ; difficile dans tous les temps, dans tous les pays et sous tous les régimes, si l’on veut qu’elle soit ce qu’elle doit être et sans quoi il n’est plus de politique : véritablement réaliste, véritablement expérimentale ; plus difficile sous le régime parlementaire, plus difficile encore avec le suffrage universel, et plus encore qu’ailleurs difficile