Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/444

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

thèse sociale, ayant sinon pour objet la réforme de nos lois, du moins pour point de départ l’état actuel de notre législation. Le défaut de ce genre de pièces est que l’intérêt s’en réfère à un moment particulier de notre organisation sociale, et dépend d’un caprice du législateur. Les pièces où l’on réclamait le divorce ont passionné le public d’il y a trente ans et laissent froid celui d’aujourd’hui. Le jour où, comme quelques littérateurs nous y engagent avec ardeur et sans vergogne, nous aurions décidément remplacé le mariage par une sorte d’union libre, cela entraînerait divers autres inconvéniens, mais aurait en outre celui d’enlever toute portée à des pièces telles que les Tenailles ou la Loi de l’Homme. Cette fois, M. Hervieu s’est proposé un sujet de large et durable intérêt, puisé au fond de notre cœur et tiré des entrailles de l’humanité. Comment se comportent les parens envers les enfans, les enfans envers les parens ? L’expérience collective et anonyme, la sagesse des proverbes répond que l’affection est comme les fleuves : elle descend et ne remonte pas. Les coureurs de l’antiquité se passaient de main en main le flambeau et ne se détournaient pas pour regarder celui qui d’une main défaillante le leur transmettait : les générations font de même, et de là vient le titre symbolique de la pièce ; elles ne se soucient pas de regarder derrière elles vieillir et mourir celles qui les ont précédées, elles n’ont d’yeux que pour celles qui suivent et qui vont en avant vers la vie. Ainsi le veut le génie de l’espèce. C’est l’instinct de nature. Il est en opposition formelle avec les idées de justice, de devoir, de reconnaissance, toutes idées acquises et de formation purement humaine. De là, possibilité de conflit ; et de là sujet de drame. Ce sujet est nouveau au théâtre, et on n’en avait pas encore donné la traduction scénique ; M. Hervieu a donc ici le mérite de l’invention, qui n’est pas négligeable. Mais surtout son mérite est d’avoir abordé une de ces questions qui ne nous laisseront jamais indifférens, tant que les parens, en souffrant de l’ingratitude de leurs enfans, auront l’occasion de faire un retour sur eux-mêmes, c’est-à-dire tant qu’il y aura des hommes. Cette généralité de l’intérêt est le premier caractère d’une tragédie bourgeoise.

Notre tragédie était la mise à la scène d’une crise morale. L’action y résultait du conflit de deux sentimens ; le progrès de l’action y était faite du triomphe progressif de celui qui peu à peu l’emportait. Ce « système de la crise » est aussi bien celui qu’a adopté l’auteur de la Course du flambeau. Il nous montrera son personnage principal à cet instant de sa vie morale où il est obligé de se décider entre deux devoirs