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issue. Ou ils succomberont, ou ils prendront le seul parti qui s’offre à eux. C’est un dilemme. Et voilà cette nécessité qui ne pardonne pas ! Voilà cette épreuve dont le heurt va désagréger toutes nos pauvres notions acquises de morale, réveiller le sauvage qui dort au fond de nous et remettre en liberté le primitif Peau-Rouge ! Le récit dans lequel Sabine Revel raconte comment elle a volé les titres, imité sur les bordereaux de vente la signature de sa mère, porté le tout au notaire, un vieil ami de la famille, qui a flairé le faux, devant qui elle a dû s’humilier, s’agenouiller, est à coup sûr un des plus atroces qui aient été mis à la scène. On l’écoute haletant, le cœur serré, les yeux secs. Encore une fois le zèle maternel de Sabine a été inutile. Sabine « recommencera, » n’en doutez pas ! Et le second crime sera plus épouvantable encore que le premier. Pour rétablir la santé de Marie-Jeanne, le médecin a conseillé d’emmener la jeune femme en Engadine : il a ajouté que Mme Fontenais ne devrait pas aller là-bas, car l’air trop vif lui serait mortel. Mme Fontenais, ignorant le diagnostic du médecin, insiste pour accompagner sa petite-fille. Elle veut être de ce voyage dont elle fait les frais. Sabine y consent : « Vous en serez, ma mère. »

Le dernier acte est celui de la mort de Mme Fontenais. Mais, s’il se peut, il est plus tragique encore par les découvertes que nous y allons faire dans une âme de fille et dans une âme de mère. Stangy est revenu. Il offre tout l’argent dont on peut avoir besoin ; il fait mieux : il a en Amérique des affaires importantes dans lesquelles il va intéresser Didier. Est-ce pour Sabine le ciel qui commence de s’éclaircir ? Est-ce la vie qui lui apporte une tardive revanche ? Qui sait ? Elle n’a jamais cessé d’aimer Stangy, et, par la conduite qu’il vient de tenir, celui-ci prouve bien qu’il l’aime toujours. Peut-être les projets de jadis peuvent-ils se renouer. L’espoir a si tôt fait de renaître !... Il sera de courte durée. Sabine apprend que Stangy est marié. Première et brusque désillusion ! Puis Marie-Jeanne, toute souriante et subitement rétablie, lui annonce qu’elle accompagnera Didier en Amérique. Quoi ! sa fille va partir, l’abandonner, la laisser seule ? Donc elle n’était rien pour cette fille qui était tout pour elle, elle n’avait à en attendre que l’ingratitude et l’abandon. Le coup n’est pas moins rude pour le spectateur que pour Sabine ; car nous découvrons que cette mère aimait sa fille surtout pour la douceur de l’avoir à elle, auprès d’elle, et que cet amour passionné n’était donc en fin de compte qu’une forme déguisée de l’égoïsme. L’égoïsme ! voilà le sentiment que nous voyons désormais surgir de toutes parts, qui occupe toute la scène du théâtre comme celle de la vie, qui limite l’horizon, et auquel nous ne pouvons, de