Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/451

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et dût notre enfant mourir, nous ne sauverons ni sa fortune ni sa vie au prix d’une infamie. Puis, nous regardons autour de nous, et nous trouvons l’exemple de désastres subis jusqu’au bout, sans que ceux qui en ont été victimes aient même essayé d’y échapper par une déloyauté. Pour expliquer les crimes monstrueux de Sabine, il eût fallu que Sabine eût été présentée comme un « monstre. » De la part du père Goriot, rien ne nous étonne, parce qu’il nous a été donné pour un maniaque de la paternité. Son amour pour ses filles, c’est son vice. Il doit à ce vice autant de jouissances que de tortures, et nous admettons que ce vice le mène au crime. Sabine n’est pas une mère Goriot.. Il y a désaccord entre le caractère d’humanité moyenne que l’auteur lui a d’abord assigné et les actes violemment exceptionnels dont elle nous apparaît soudainement capable.

Une objection plus grave porte sur l’idée même qui est au fond de la pièce de M. Hervieu et sur la teinte générale de son œuvre. Car nous avons semblé admettre avec l’auteur la vérité de cet aphorisme : que l’affection descend et ne remonte pas. C’est là une de ces maximes vraies sans doute, mais d’une vérité si générale qu’elles en deviennent comme vides de sens et qu’elles échappent sitôt qu’on essaie de les presser. Regardons dans la vie et dans l’histoire. Voici les familles patriarcale, grecque, romaine ; le père se subordonne à lui seul et au besoin se sacrifie les générations qui le suivent, sous prétexte qu’il en est le chef. Il en est de même dans la famille de l’ancienne France ; dans la famille anglo-saxonne, le premier soin des parens est de pousser les enfans dehors et de les envoyer au loin vivre, à leurs risques et périls, d’une vie tout individuelle. Ce n’est guère que dans la famille française d’aujourd’hui que le principe admis par M. Hervieu trouverait son application. Or, cette famille, dont l’atmosphère est si douce, si cordiale, est justement celle où, plus que jamais et plus que partout ailleurs, parens et grands-parens se voient entourer des soins d’une tendresse ingénieuse et délicate. Il y a plus. Si, dans la Course du flambeau, j’ai bien trouvé la mise en œuvre dramatique d’une perversion de l’amour maternel, je pense que l’amour maternel lui-même n’y est pas représenté : pas une fois, je n’en ai surpris l’accent. M. Paul Hervieu ne nous parle qu’avec amertume de cette loi de la nature qui veut que les enfans aillent devant eux sans presque se retourner : et il semble, à l’entendre, que les parens, du jour où ils ont fait l’épreuve de cette loi, en conçoivent une espèce de haine de la vie. C’est le contraire qui est vrai. Cette loi de nature, nous l’acceptons, et, en l’acceptant, nous lui enlevons du