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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/457

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soi et de l’inceste idéal. Tandis que Jeannine est le Désir et Marianne la Jalousie, Richard représente l’Ouragan et la petite négrillonne l’Espérance ou la Chimère. En vérité, il ne manque ici que la musique.

Mais presque partout elle manque.

Il faut dire pourtant, et ce n’est pas beaucoup dire, que l’Ouragan vaut mieux que Messidor. Il y a là quelques passages auxquels on finirait par s’habituer, peut-être se complaire. L’introduction débute bien : par un thème simple, orchestré de manière agréable, et dont l’oreille est d’abord charmée. Au premier acte, la plainte alternée des deux sœurs, évoquant leurs anciennes et rivales amours, n’est pas dépourvue de puissance, et je ne nie pas que de l’ensemble du troisième acte, malgré des choses affreuses, se dégage une impression de farouche grandeur. Une impression, ou plutôt une intention ; et le malheur de M. Bruneau, c’est justement l’inégalité, que trahit chacun de ses opéras, entre l’intention et le fait, entre sa volonté et son pouvoir. Ce qu’il y a de pire dans la musique de M. Bruneau, c’est, hélas ! la musique même, et toute la musique. En rien, par aucun des élémens ou des facteurs qui la composent, cette musique n’est belle. Serait-ce par la mélodie ? Mais ces leitmotive (car naturellement il y en a) sont trop souvent dénués de valeur personnelle autant que d’intérêt symphonique. Dans la partition de M. Bruneau, suivez, quand par hasard on la peut distinguer à l’orchestre ou aux voix, la ligne de chant. Trois ou quatre mesures ne se passeront presque jamais sans qu’elle dévie ou se brise, sans qu’une faute de dessin vienne altérer le contour, ou le détruire.

Et, si les notes se succèdent mal en cette musique, elles ne s’y associent pas mieux. D’abord elles répugnent constamment aux paroles, à moins que les paroles plutôt ne leur soient contraires et que la musique décidément ne supporte pas une prose sans rythme, sans nombre, dont la phrase, trop longue ou trop brève, tantôt déborde la phrase musicale, tantôt n’arrive pas à la remplir. Ainsi, dans la déclamation lyrique de MM. Zola et Bruneau, constamment quelque chose traîne ou quelque chose manque, et la fausseté des coupes n’est que trop souvent égale à l’incertitude, comme à l’inexactitude des intonations.

Que dire des harmonies surtout, qu’on n’ait déjà dit à propos de Messidor, et qu’il ne soit fâcheux d’avoir, ou peu s’en faut, à redire ! Un de nos voisins l’observait justement : l’harmonie de M. Bruneau est si dure, si pénible, si atroce, que, noté par lui. l’accord parfait d’ut majeur ferait l’effet d’une dissonance. L’harmonie ! voilà peut-être l’ordre, le domaine sonore, où la laideur d’une telle musique