sur le même ton que se querellent les héros d’Homère traduits par Bitaubé.
Mais ne vous avisez pas, surtout, de demander à un Polonais ce qui fait, pour lui, l’incomparable beauté poétique de ces œuvres dont de fâcheuses traductions vous auront laissé une idée si fâcheuse ! Car ses réponses achèveraient de vous déconcerter. Il vous répondrait, par exemple, que Monsieur Thadée est un tableau fidèle des mœurs de la petite noblesse lithuanienne au début du XIXe siècle : et vous songeriez à des poèmes de Brizeux ou de Laprade qui, étant aussi de fidèles tableaux de mœurs provinciales, n’ont pourtant jamais prétendu à compter parmi les chefs-d’œuvre de la poésie. Ou bien il vous répondrait que les vers de Mickiewicz sont les plus faciles, les plus coulans qu’aucun poète ait jamais écrits ; qu’on les lit sans ombre d’effort, comme de la prose, sans même songer que ce sont des vers. Il ajouterait que, du reste, Mickiewicz n’a pas éprouvé plus de peine à les écrire qu’on n’en éprouve à les lire, possédant à un degré tout à fait extraordinaire l’enviable génie de l’improvisation. Et vous songeriez que ce génie, pour enviable qu’il soit, n’est guère de ceux qui créent des œuvres durables. Vous vous rappelleriez des poèmes de Méry, dont on disait aussi, en leur temps, qu’à force d’être faciles à lire, ils faisaient l’impression d’être écrits en prose. Ou bien enfin l’admirateur de Mickiewicz vous répondrait que le poète des Aïeux est, de tous les poètes, le plus patriote, que son œuvre est un magnifique appel à la révolte contre l’oppression qui pèse sur son pays, et que personne n’a su, avant ni après lui, exalter plus éloquemment, dans les âmes polonaises, le désir passionné de l’indépendance. Et vous comprendriez, dès lors, le culte qu’ont voué à Mickiewicz ses compatriotes : mais, du même coup, vous soupçonneriez ce culte de tenir plus à la politique qu’à la littérature ; et, tout en excusant les Polonais d’admirer, ainsi qu’ils font, un auteur qui fournit à leur patriotisme une source inépuisable d’espérance et de consolation, vous vous arrêteriez, une fois pour toutes, à ne plus voir en Mickiewicz qu’un rival des Arndt, des Kœrner, des Ugo Foscolo et des Béranger, quelque chose comme un « poète de la revanche, » un chansonnier ou un pamphlétaire, tout au monde excepté un vrai grand poète.
Aussi bien nous a-t-on prodigué ces explications du génie de Mickiewicz, pendant les soixante ans qu’on s’est, héroïquement, évertué à propager et à acclimater en France l’œuvre et la gloire du poète polonais. On nous a répété sur tous les tons que Mickiewicz était un ardent patriote, qu’il avait peint avec une exactitude parfaite les