mœurs de son pays, et que ses vers coulaient, aisés et rapides, comme une belle prose. On nous a raconté que Mickiewicz, depuis sa jeunesse, improvisait, à toute occasion, des discours en vers. On nous l’a montré poussant la ferveur de son patriotisme jusqu’à transformer en des prédications politiques ses leçons de littérature au Collège de France. On nous a offert d’innombrables traductions de ses poèmes, pour nous prouver l’exactitude de ses peintures de mœurs. Aucun poète étranger ne nous a été révélé plus abondamment, avec plus de compétence et de bonne volonté. Et non seulement tout cela ne nous a pas rendu Mickiewicz plus familier que, par exemple, Byron, Gœthe, ou Pouchkine : nous n’avons même pas acquis l’habitude de le compter, de loin, parmi les grands poètes, d’associer son nom à ceux des maîtres du romantisme dans les autres pays. Mickiewicz, aujourd’hui, nous est aussi étranger que pourrait l’être un poète national mexicain ou finnois.
C’est que les Polonais qui nous ont parlé de lui se sont « figuré la vérité au point où elle n’était pas. » Ils ont prêté à leur poète les qualités qu’ils souhaitaient qu’il eût ; comme les enfans, malgré la dure morale du Loup et de l’Agneau, prêtent la bonté au « bon » La Fontaine. Et l’image qu’ils nous en ont offerte nous a laissés froids, parce que nous l’avons sentie plus faite d’enthousiasme que de réalité. Je suis prêt à croire, pourtant, que Mickiewicz décrit exactement les mœurs de la Lithuanie : mais, — sans compter qu’un romancier pourra toujours les décrire plus exactement encore qu’un poète, — les poèmes où il les décrit sont assurément la partie la moins poétique de son œuvre et la moins personnelle, la moins propre à nous révéler son véritable génie. Quant à la facilité de ses vers, celle-là n’existe, fort heureusement, que dans l’imagination de ses admirateurs ; ou plutôt Mickiewicz avait, en effet, un don d’improvisation qui lui permettait de parler en vers aussi aisément qu’en prose : mais il a su se méfier de ce don dangereux, et ses meilleurs poèmes attestent, au contraire, un long et patient effort artistique, une recherche obstinée de la perfection. Ces poèmes ne ressemblent pas plus à une prose rythmée que les Méditations ou la Légende des siècles : chaque mot y est à sa place nécessaire, et joue un rôle distinct dans l’harmonie de la strophe. Et, enfin, on se trompe tout à fait à ne voir en Mickiewicz qu’un poète patriote. Considéré à ce point de vue, il est loin d’être le plus grand des poètes polonais : ses deux rivaux, Slowacki et Krasinski, et M. Sienkiewicz lui-même, s’inspirent plus que lui, dans leurs œuvres, du souvenir des gloires et des souffrances nationales. Non qu’il