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il aimait aussi à parler d’autre chose. Ses lettres à Philippe V, et surtout celles à Madame de Montgon, on s’en souvient peut-être, en font foi. De plus en plus, sous l’adolescent pieux, un homme et un prince, commençait à poindre, qui aurait fini par se dégager, si la mort n’était venue le surprendre.

L’espoir du Duc de Bourgogne ne devait pas être trompé. Au printemps de l’année 1702, Louis XIV avait à tenir tête aux forces réunies des trois puissances coalisées à La Haye. Bien que leur déclaration de guerre officielle ne date que du 15 mai et la réponse de Louis XIV du 15 juillet, cependant, en fait, les hostilités avaient commencé dès le mois d’avril. Guillaume III était mort le 9 mars, mais son œuvre de haine lui survivait, et la reine Anne avait adopté la politique nationale. Louis XIV avait à soutenir la guerre, non pas seulement, comme l’année précédente, en Italie, mais en Alsace et en Flandre. A laquelle des trois armées qui soutenaient l’honneur de la France confierait-il son petit-fils ? Il ne pouvait être question de l’armée d’Italie où Vendôme commandait en réalité, mais où le Duc de Bourgogne se serait trouvé dans une situation singulièrement fausse vis-à-vis d’un beau-père investi des fonctions de généralissime, et dont on se méfiait déjà. Catinat commandait en Alsace, et certes l’école eût été bonne. Mais il avait été peu heureux l’année précédente contre le prince Eugène, et, bien que la noblesse de son attitude l’eût relevé de la demi-disgrâce où il était tombé et que le Roi l’eût accueilli à Versailles avec bienveillance, on avait perdu confiance en lui. Restait l’armée de Flandre placée sous le commandement de Boufflers. Ce fut à ce commandement que Louis XIV résolut d’associer son petit-fils, comme il avait fait quelques années auparavant au camp de Compiègne où l’association n’avait pas mal réussi. Le choix n’était pas mauvais. Pour commander une armée sous un petit-fils de Roi, pour ne pas l’effacer tout en le guidant, et pour lui donner des conseils qui en réalité fussent des ordres, il fallait un homme qui eût plus d’expérience que de génie, qui sût joindre la déférence à la liberté, et qui ne le prît ni de trop haut ni de trop bas. Le maréchal duc de Boufflers était bien l’homme qu’il fallait. Après avoir débuté à dix-neuf ans comme cadet dans le régiment des gardes françaises, il avait été, non sans profit, à l’école de Turenne et de Luxembourg, et il était monté, de grade en grade, jusqu’à celui de maréchal de France. Homme de bien et d’honneur, il