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moine. Tel Alexandre Dumas fils, dictant ainsi, dans son testament, le thème sculptural dont M. de Saint-Marceaux a tiré un si beau parti : « Après ma mort, je serai revêtu d’un de mes costumes de travail, les pieds nus... », ce costume de travail étant une robe. En sorte que rien, dans la pratique, n’est venu confirmer les hypothèses favorables au vêtement contemporain depuis le jour, en 1846, où Gustave Planche félicitait Maindron d’avoir représenté, en redingote, l’inventeur de la lithographie Senefelder. Dans ces cinquante-cinq années, l’expérience a été maintes fois tentée. Elle l’a été par des maîtres. Les résultats en couvrent nos places publiques. L’opinion unanime a jugé. Aujourd’hui, les maîtres ne la tentent même plus. L’échec est décisif.


III

Et pourquoi ? Pourquoi le vêtement contemporain est-il si peu sculptural ? Pour en trouver les raisons, il suffit de le considérer un instant. D’abord, il est uniforme ; il offre de grands espaces dénués d’ombre et de lumière. Là où le buste de l’homme se creuse, se renfle, se plie et se cambre au gré des muscles, grand pectoral, grand dentelé, grand oblique, la redingote n’a qu’un plan. Là où le corps dit : relief, profondeur, polyèdre, ligne ondulée, accent d’ombre, rouages souples de la machine humaine affleurant à la peau, la redingote dit : cylindre. Le tailleur rectifie le buste de l’homme et apprend à la nature comment elle aurait dû construire les jambes : rectilignes. Car autant qu’il est uniforme, le vêtement moderne est artificiel. Non seulement il cache la forme humaine, mais il la contrefait. La toge ou le pallium, prêts à se modeler sur l’athlète, ne sont rien sitôt tombés de ses épaules, tandis que notre costume est une caricature complète de l’homme ; il a comme lui des jambes, des bras, un cou. C’est un anthropoïde.

Uniforme et artificiel, il est encore immuable. Tandis que les grandes lignes de la toge, diversement ondulantes ou serrées, changeaient de physionomie, selon que le prêtre ramenait un peu de draperie sur sa tête, ou quelle lutteur l’enroulait autour de son bras, ou que l’orateur la laissait tomber dégageant son buste, ou que le magistrat disposait par longs traits les bords contenant les bandes de pourpre, le veston, lui, ou bien l’habit, reste identique à lui-même, que ce soit un homme d’Etat, un médecin,