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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/588

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l’installation des Consuls aux Tuileries, Paris se souvient que l’on est au temps du carnaval ; on voudrait qu’il revînt d’exil, ce joyeux ci-devant. Le gouvernement, par crainte de désordres, n’ose encore autoriser la promenade des masques dans les rues, mais il permet le bal de l’Opéra, supprimé depuis 1790, et voilà le grand événement de la semaine. Le premier bal, donné le mardi gras, et les bals suivans furent un énorme succès d’argent. On s’y précipita, on s’y entassa ; on y alla tant qu’on ne s’y amusa guère ; la cohue fut affreuse, et puis Paris tel que la Révolution l’avait fait, tour à tour héroïque, déclamatoire et cynique, avait perdu cette désinvolture de l’esprit, cette grâce d’ironie qui s’affine et s’aiguise sous le masque, sémillante et légère.

La Gazette de France vante néanmoins la magnificence et le charme de ces nuits de fête, parce qu’elles sont renouvelées d’autrefois : « Cet heureux début prouve combien a été sage et politique la détermination qui a rendu au goût français un genre de divertissement qui semble n’être fait que pour lui. » Le Journal des hommes libres oppose cette description : « Le dernier bal de l’Opéra a été encore plus populeux que les précédens. La chaleur insupportable d’une masse qui essaye en vain de se mouvoir et fait un pas par heure, une musique assourdissante, les propos connus de nombreux chiants-lits, tel est en deux mots le tableau fidèle des plaisirs que certains journalistes se félicitent d’avoir réhabilités. » Au reste, à chacun son goût, ajoute l’organe jacobin, qui n’en est pas moins au fond d’une exécrable humeur ; il lui semble en effet que le mardi gras remis en honneur peut rappeler aux esprits son antique repoussoir, le mercredi des Cendres ; à ressusciter le carnaval, on risque d’évoquer le carême.

Il y avait d’ailleurs bien autre chose. En ce temps de divertissemens consacrés, certains ministres avaient cru devoir ouvrir leurs salons, donner des bals ; ils s’essayaient à refaire du gouvernement un centre de vie sociale et de plaisirs. Cette initiative n’a pas le don de plaire dans les milieux jacobins ; passe encore pour Lucien, qui n’a invité que les fonctionnaires et les catégories officielles ; mais Talleyrand, le ministre aux accointances suspectes, a profité de l’occasion pour attirer chez soi et présenter au Consul moins de républicains que « de gens comme il faut, » voire même quelques ci-devant grands seigneurs, un