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Coigny, un Dreux-Brézé, « ce qui était noble et très noble ; » et voilà la République en péril à propos d’un bal. Pendant toute une semaine, on s’acharne sur Talleyrand, on le poursuit d’insinuations venimeuses. Le Journal des hommes libres n’ose blâmer Bonaparte d’avoir paru au bal, mais il veut absolument que le Consul y ait pris un ton rogue et défensif, attestant qu’il se sentait fourvoyé en compromettante compagnie. Dans l’assistance, il n’aurait distingué et honoré de sa conversation qu’un danseur de profession, le roi de la danse, Vestris : « Bonaparte est arrivé tard, a salué les dames, n’a rien dit à la cour et a causé avec le seul Vestris, qui en effet, dans un bal, est l’homme intéressant. »

Cinq semaines passent. A la fin du carême, la célébration des jours saints rentre spontanément dans les mœurs, mais il faut toujours que Paris mêle à ses dévotions quelque chose de profane et de frivole. La promenade de Longchamp reprend, son éclat traditionnel. La Gazette de France ne se sent pas d’aise ; elle insiste sur l’affluence des voitures et des piétons, sur le concours des exhibitions diverses, sur l’éclosion des modes nouvelles qui s’essayent et se lancent ; elle a soin de faire remarquer que tout Paris est allé à son ancien rendez-vous, que la file des équipages se prolongeait « depuis le premier arbre des Champs-Elysées jusqu’au dernier du Bois. » Les Hommes libres haussent les épaules, puis exercent leur verve ordurière aux dépens des théâtres qui ont cru devoir changer leur programme habituel, reprendre le vieil usage des concerts spirituels et annoncer le Stabat de Pergolèse. Que sera-ce, quand la série des grandes fêtes de l’Église va s’échelonner pendant toute la durée du printemps, quand chacune de ces solennités, Pâques, l’Ascension, la Pentecôte, la Fête-Dieu, va provoquer une recrudescence et comme une explosion de vie religieuse ! Contre les prêtres et leurs mômeries, contre les philosophes renégats qui sacrifient à l’idole du jour, contre les bourgeois qui croient se mettre à la mode en retournant à la messe, le Journal des Hommes libres n’a pas de sarcasmes assez gros.

Parfois, le débat des gazettes s’élève et devient théorique ; c’est la lutte de deux doctrines, l’une en baisse, l’autre en hausse ; celle qui voudrait une France datant de 1789, reconstruite de toutes pièces et posant sur le vide ; celle qui veut que la France reprenne racine dans son passé et se replace sur ses