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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/595

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Premier Consul le droit formel de commander les armées et semblait même le lui refuser par prétérition. Cependant, le 17 ventôse, il s’était fait nommer, par arrêté des Consuls, commandant de l’armée de réserve. Avec la meilleure partie de cette armée, il comptait déboucher de Suisse en Allemagne, rejoindre Moreau, qui aurait passé le Rhin et pris l’offensive, arriver juste à temps pour apporter l’appoint décisif, pour frapper le coup bref et foudroyant qui nous rouvrirait le chemin de Vienne.

Mais il était encore au temps où il avait à négocier avec les généraux comme avec tout le monde, à ménager particulièrement Moreau, qui se renfrognait à l’idée qu’une intervention du Consul pourrait lui soustraire la gloire du résultat final. Bonaparte usait avec lui de diplomatie ; il ne s’agirait que d’une courte apparition : « Il n’est pas impossible, si les affaires continuent à bien marcher ici, que je ne sois des vôtres pour quelques jours[1]. » Il se plaignait de sa grandeur qui l’attachait au rivage de la Seine : « Je suis aujourd’hui une espèce de mannequin qui a perdu sa liberté et son bonheur… J’envie votre sort ; vous allez, avec des braves, faire de belles choses. Je troquerais volontiers ma pourpre consulaire pour une épaulette de chef de brigade sous vos ordres. Je souhaite fort que les circonstances me permettent de venir vous donner un coup de main[2]. » Moreau continuait à faire grise mine. À la fin de ventôse, Bonaparte renonçait à opérer en Allemagne et décidait de se porter ailleurs ; par le Simplon ou le Saint-Gothard, il descendrait en Italie, tomberait au cœur du Milanais, prendrait à revers les Autrichiens de Mêlas et tendrait la main à l’armée de Masséna, qui déborderait des Apennins. Il rentrait en même temps dans la vérité constitutionnelle et, révoquant l’arrêté par lequel il s’était institué général en chef de l’armée de réserve, faisait nommer à sa place Berthier, qui céderait à Carnot le portefeuille de la Guerre. Avec Berthier, il pouvait être tranquille, certain d’avoir affaire à un homme qui ne commanderait qu’en nom, qui suivrait docilement ses directions, qui ne lui disputerait jamais la gloire d’un succès et endosserait au besoin la responsabilité des revers. Il gagnait à cette combinaison l’avantage de pouvoir quitter l’armée dès qu’il aurait assuré le dénouement, de rentrer plus vite à Paris,

  1. Corresp., VI, 4627.
  2. Ibid., 4674.