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Bonaparte était très monté, et Fouché eut à essuyer une bordée de paroles furibondes contre les Septembriseurs ; tous les assistans faisaient violemment chorus. Fouché cria plus fort qu’eux, « avec des f.. et des b… » qui scandalisaient Rœderer[1]. Il eut une altercation avec le ministre de l’Intérieur, Lucien, auquel il reprocha une complaisance presque criminelle pour les élémens de droite : c’était trahir l’Etat, selon lui, et trahir le Consul que de favoriser les seuls adversaires vraiment dangereux de l’ordre établi. Et, devant la révolte de l’étonnant personnage, devant les argumens très adroits qu’il produisit en termes grossiers, Bonaparte céda ; il en était encore à voir en Fouché le ministre indispensable, quoique suspect, une mystérieuse et louche puissance qui disposait d’une espèce de sortilège pour tenir assoupi le monstre révolutionnaire. La main du Consul, levée pour frapper les Jacobins, s’immobilisa encore une fois ; toute idée de mesure collective, de proscription en masse fut éloignée ; au bout de trois jours, le Journal des hommes libres reparut, ayant victorieusement traversé l’épreuve.

Et Fouché avait raison ; le vrai péril restait à droite. Les Jacobins de la rue pouvaient rêver d’assassinat, méditer des complots que la police connaissait toujours par le moyen de faux frères ; sans chefs, sans argent, honnis de la population, ils étaient hors d’état de susciter des troubles sérieux. Il en était autrement des royalistes, qui disposaient encore en partie de l’Ouest, qui trouvaient moins de défaveur auprès de l’opinion parisienne, et qui avaient derrière eux les millions de l’Angleterre, ses escadres et les armées de la coalition. Leurs projets demeuraient grands et redoutables ; tout un ensemble d’opérations devait concorder avec la rentrée en campagne de l’Autriche et de l’Angleterre ; un soulèvement en Provence, le Midi à détacher de la République ; dans tous les départemens, un renouvellement de brigandage, les diligences arrêtées, les courriers dévalisés ; dans l’Ouest et à Paris, l’opération majeure, le double effort simultané, concerté très positivement avec le Cabinet de Londres ; les flottes britanniques bordant le littoral depuis Calais jusqu’à l’embouchure de la Loire, 24 000 hommes mis à terre, Calais, Brest, Lorient, Nantes surpris en même temps, un prince se jetant à Nantes avec le gros des forces, et presque aussitôt, dans

  1. Rœderer, III, 369.