rapports de sa police, écrivait à Joseph : « On a balancé entre C… et L… F… Je ne sais pas encore si le grand prêtre (Sieyès) se décidait pour l’un ou pour l’autre ; je crois qu’il les jouait tous deux pour un d’Orléans[1]. » Il semble bien que Carnot fut finalement choisi. A côté de l’intrigue centrale, d’autres gravitent ; Talleyrand manœuvre, Fouché traite avec tout le monde et ne se livre à personne, afin de rester, quoi qu’il arrive, l’homme de la situation, et quelques personnages songent à exploiter les ambitions à la fois paresseuses et tenaces de Joseph, à faire de lui le successeur éventuel, le consul de la modération et de la paix ; ils caressent la chimère d’un gouvernement bonapartiste sans Bonaparte. En vue de la grande succession qui peut échoir au plus habile, au plus prompt, héritiers de tout genre, frères, collègues, ministres, hauts parlementaires s’agitent déjà, et quelques-uns ne répugneraient pas à hâter l’événement, de complicité avec la défaite. Dans le plus grand mystère, plusieurs gouvernemens de rechange s’ébauchent, prêts à remplacer Bonaparte s’il périt, prêts à le supplanter s’il revient vaincu et découronné de son prestige.
Mais le peuple de Paris, le peuple ouvrier, son brave peuple lui reste. A la fois las et confiant, ignorant les intrigues qui se mènent très haut par-dessus sa tête, ce peuple reste sourd aux incitations qui lui viennent de droite et de gauche. A tacher de l’émouvoir, les factieux blancs ou rouges perdent leur peine ; 27 floréal : « Dans le faubourg Antoine, la très grande majorité des habitans, quoique mécontens du défaut d’ouvrage et de la stagnation du commerce, se refuse à toute espèce de mouvement et est fortement décidée à n’y jamais prendre part… » 1er prairial : « La masse des citoyens est parfaitement tranquille, tandis que les factieux continuent de s’agiter dans le secret et combinent les moyens d’opérer un mouvement. » 3 prairial : « Paris est tranquille, les faubourgs calmes, les agitateurs se désespèrent de voir leurs efforts inutiles[2]. »
Brusquement, une grande nouvelle, une de ces surprises de stratégie auxquelles Bonaparte n’a pas encore accoutumé les Parisiens, vient récompenser leur patiente confiance ; le bruit se répand que le Consul est à Milan. Vainqueur des Alpes, il est tombé en Italie comme la foudre ; l’armée de réserve occupe les