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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/610

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plaines de la Lombardie, prenant à dos et effarant les Autrichiens, coupés de leur base d’opérations : « Cette nouvelle a électrisé tous les bons citoyens, en même temps qu’elle a déconcerté les factieux de tous les partis. Elle s’est propagée à l’instant dans tous les quartiers de la ville et a produit dans les faubourgs surtout le meilleur effet. Les agens assurent que deux individus qui ont osé hier soir, dans le jardin des Tuileries, parler contre les opérations du général Premier Consul ont été menacés d’être jetés dans les bassins, et qu’ils n’ont eu que le temps de se sauver dans la foule. La confiance dans le gouvernement s’affermit chaque jour. L’espérance de la paix anime tous les cœurs. Nos succès la consolident, et le commerce semble reprendre un peu de vigueur[1]. »

Un fâcheux événement tempéra cette allégresse et assombrit de nouveau l’horizon. Gênes avait succombé ; l’armée autrichienne se retournait tout entière contre l’armée de réserve inférieure en nombre, pour lui passer sur le corps. Chacun sentit que le sort de la campagne allait se décider et que la péripétie suprême approchait.

Plusieurs jours s’écoulèrent sans nouvelles, lourds d’attente. Le 1er messidor, les Consuls reçurent un avis vague et tronqué, qui les laissa « dans la plus grande anxiété[2]. » Il annonçait qu’une bataille avait eu lieu et n’en annonçait pas le résultat. D’après d’autres avis, reçus par des spéculateurs à l’affût de toute nouvelle pouvant influer sur les cours de la Bourse, les Français avaient perdu un général illustre ; au moment où les courriers avaient été expédiés, l’action durait toujours, l’issue restait incertaine. Des bruits de catastrophe se mirent à circuler, et il parut qu’une opprimante atmosphère s’étendait sur la ville. Dans les milieux politiques, le fourmillement des intrigues s’active aussitôt, s’enhardit ; la combinaison qui tient Carnot en réserve se précise, s’affirme et paraît distancer les autres.

La nuit passa, nuit de spéculations fiévreuses. Le lendemain matin, les Consuls se tenaient aux Tuileries ; comme il devait y avoir à midi réception du corps diplomatique, les ministres, les conseillers d’État, convoqués à cette cérémonie, se rendaient auprès des Consuls, et quel tumulte de projets inavoués s’agitait sans doute sous leur apparence compassée ! Dans les salons

  1. Rapports de police, 17 prairial. Archives nationales, AF, IV. 1329.
  2. Éclaircissemens inédits de Cambacérès.