Angleterre ; cependant on éprouve une certaine satisfaction, après la si longue subordination des femmes, à se dire que la première monarchie du monde reçoit les ordres de l’une d’elles. Rarement est-il arrivé qu’un seul souverain ait, par la prolongation d’un règne pacifique, influencé l’histoire de l’humanité comme le fit Victoria. »
Ces réflexions sont curieuses à lire aujourd’hui ! Mais en 1878, les radicaux eux-mêmes étaient persuadés que cette forte influence personnelle de la Reine ne faiblirait pas. Vu l’état actuel de l’opinion publique, nous dit Higginson, le trône d’Angleterre convient admirablement à une femme.
Il pourrait ajouter que partout les reines sont en notre siècle, si dur pourtant, et peut-être à cause de cette dureté même, entourées d’un dévouement chevaleresque, le respect naturellement dû à la femme se mêlant à celui qu’exige la souveraine. Peut-être la monarchie est-elle destinée à refleurir et à se fortifier sous une forme féminine qui sera comme le symbole de la toute-puissante faiblesse. Les larmes versées par tout un peuple aux obsèques de la vieille reine Victoria, l’enthousiasme non moins général soulevé par le mariage de la jeune reine de Hollande sont là pour le faire supposer. En 1878, comme Higginson demandait à un officier de haut rang si l’Angleterre ne deviendrait jamais une république, celui-ci répondit que ce serait impossible tant qu’existerait la reine. Mais après... Si un certain petit-fils de la reine qui pratique des théories déclarées d’absolutisme prenait trop d’influence sur son cousin, l’Angleterre regimberait contre un pareil traitement et entre deux maux préférerait encore la république dont en principe elle ne veut pas. C’est tout l’espoir qui reste au républicain Higginson. Il raconte avec un grain de malice qu’à cette revue d’Aldershot, la poulie qui devait hisser et faire flotter aux vents le drapeau britannique au-dessus du pavillon de la Reine refusa de fonctionner : « On est sous la menace, dit-il, d’une guerre avec la Russie (13 mai 1878) et plus le drapeau météore de l’Angleterre est bruyamment chanté, plus il est embarrassant de voir ce météore descendre au lieu de monter. Le même incident survint pour le drapeau de Charles Ier quand il fut levé une première fois à Nottingham en 1642... » Quant à la revue, on ne vit jamais de plus éblouissans uniformes, de plus beaux chevaux que ceux de ces seize mille boys imberbes et bien nourris, mais ils ont un peu l’air