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de l’esclave, lui tint le plus au cœur fut l’émancipation de la femme. Les essais qui composent le volume intitulé les Femmes et l’Alphabet[1] commencèrent à paraître en 1859, et ils n’ont certainement pas nui à la conquête des droits nombreux que les Américaines se sont assurés depuis une quarantaine d’années. On prétend que ce fut la lecture du premier de ces essais : Les femmes doivent-elles, oui ou non, apprendre l’alphabet ? qui décida de la fondation du fameux collège de Smith. Cet essai avait été inspiré à Higginson par un amusant pamphlet qui parut à Paris en 1801 : Projet d’une loi portant défense d’apprendre à lire aux femmes. Sous une forme paradoxale, la petite brochure française touchait au fond même du problème.

Tout est là : les femmes doivent-elles être autorisées à apprendre leurs lettres ? Oui ? Eh bien ! en ce cas, elles doivent apprendre le reste, ne pouvant être que sujettes ou égales de l’homme ; il n’y a pas de milieu. Les Chinois sont beaucoup plus logiques que nous ; ils décrètent que, pour les hommes, la vertu consiste à cultiver la science, tandis que, pour les femmes, renoncer à la science est une vertu. En réalité les limites propres à chacun des deux sexes sont tracées nettement par la nature ; qu’on écarte donc une bonne fois les obstacles légaux et conventionnels ; ils empêchent la femme de déterminer elle-même le point précis où elle s’arrêtera. La maternité, ce sanctuaire fermé à l’homme, implique chez elle une sensitivité morale et physique, qui n’est pas de la faiblesse, puisqu’elle prête en certains cas des forces extraordinaires, une sensitivité qui se révèle à travers toute la carrière de la femme et est comme la rançon de joies divines qu’elle est seule aussi à goûter. Mais combien de qualités les deux sexes ont-ils d’ailleurs en commun, et Higginson soutient qu’il n’y a pas une vertu appartenant à l’un qui ne puisse faire honneur à l’autre : « Dès leur enfance, garçons et filles ont besoin de s’entr’aider ; la coéducation est un stimulant utile à celles-ci, une contrainte précieuse pour ceux-là. Le préjugé qui s’y oppose, sous prétexte que les hommes doivent devenir tout cerveau et les femmes rester tout cœur, est l’un des plus faux et des plus dangereux qui existent. Ayons confiance dans la femme religieuse et pure ; il n’y a pas de danger qu’elle se désexualise

  1. Women and the Alphabet, 1 vol.