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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/685

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Mais, jusque dans ses préférences pour les parties où il nous donne l’avantage, on devine au fond de sa pensée tout le désirable orgueil, toute l’inébranlable foi que d’autres résumèrent dans cette profession de leur grandeur : Civis Romanus sum.

Il sait de la France tout ce qu’un esprit studieux en peut apprendre. Reste ce qui ne s’apprend pas, ce qu’un natif devine et respire dans l’air ambiant. Certaines nuances sont difficilement perceptibles pour l’étranger. Il obéit parfois à des superstitions ingénues dans le classement qu’il fait des hommes. On le voit s’appuyer fortement sur des autorités légères dont nous sommes tentés de sourire. Les lacunes de son information apparaissent dès qu’il touche aux périodes antérieures à sa venue, et qu’il ne connaît que par ouï-dire. En revanche, il juge comme l’un de nous, souvent beaucoup mieux, des choses et des hommes qu’il a pratiqués personnellement. Nombre d’anomalies et de contradictions auxquelles l’habitude nous rend insensibles lui sautent aux yeux. Son livre éveillera chez quelques-uns des réflexions qui sommeillent ; et il divertira les hypocondriaques. Car M. Bodley a l’humour de sa race ; soit qu’il tire de son fonds des opinions inattendues, soit qu’il souligne les singularités de notre état social ou les calembredaines de nos politiciens, il le fait avec un flegme courtois, indifférent, dont je prise fort la saveur. On en jugera par quelques citations. Ses façons de penser et de dire m’ont remis plus d’une fois en mémoire, — il voudra bien prendre ceci en très bonne part, — le titre d’un vaudeville jadis populaire : l’Anglais, ou le Fou raisonnable.

Regardons un instant notre figure dans le miroir que cet étranger nous présente.

Il s’est vite laissé gagner, nous dit-il, par le charme qui émane du pays de France, par l’aménité d’un peuple sociable, ordonné, laborieux. Mais bientôt un problème se pose et s’impose à son esprit : cette terre bénie, ces populations de tempérament joyeux, d’où vient qu’elles sont comme enveloppées d’un nuage de pessimisme ? Conclusions philosophiques des écrivains, épanchemens sérieux des gens de province, propos légers de la conversation parisienne, toutes les voix répètent la même litanie ; découragement, incertitude, défiance du lendemain. Serait-ce l’effet persistant d’une guerre malheureuse, d’une mutilation du territoire ? On donne à M. Bodley cette explication, la plupart s’en contentent. Notre observateur l’écarté après examen ; il voit.