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longues. Nous fûmes tout de suite d’accord sur la réélection des Cinq indivisibles, et dans les circonscriptions qui correspondraient à leurs circonscriptions anciennes, par conséquent, sur le maintien de Picard contre Havin. Dans les quatre circonscriptions libres, je lui proposai de ne pas s’arrêter aux antécédens, et de choisir, pourvu qu’il fût orateur, quiconque voudrait, comme nous, l’établissement d’un gouvernement constitutionnel par la liberté. — « En thèse générale, je ne considère pas, dis-je, comme motif d’exclure un candidat, qu’il ne sache pas parler. Un homme droit, instruit, sensé, ferme, vaut, quoique muet, mieux qu’un parleur même bon, qui a l’esprit faux ou pervers ; il y en a toujours trop dans les assemblées ; les affaires iraient bien mieux si la parole n’était prise que par les chefs de parti, ou, dans les questions techniques, par les hommes autorisés. Mais notre situation est toute spéciale. Quel que soit notre nombre, il sera toujours imperceptible par rapport à la majorité, et nous ne pouvons espérer aucune action sur les votes : l’important est de s’adresser à l’opinion, de remuer les questions et d’être toujours sur la brèche ; un Thiers, un Berryer, un Montalembert vaudraient mieux que trente Carnot. » Ce point fut convenu et notre programme fut ; les Cinq et des orateurs.

Parmi les orateurs à proposer, le premier nom qui se présenta naturellement fut celui de Thiers, puisqu’il ne se pouvait agir de Jules Simon, l’apôtre de l’abstention. Girardin considérait Thiers comme un brouillon dangereux ; il s’étonna de mon insistance en sa faveur. « Je ne vous comprends pas, me dit-il ; comment ne voyez-vous point votre intérêt à ne pas l’introduire ? Vous êtes en train de pointer au premier rang ; soyez sûr que, s’il arrive, tous vos envieux l’exalteront pour vous effacer ; vous n’existerez plus, il n’y en aura que pour lui, les Cinq n’auront jamais été ; quoi qu’ils aient fait ou dit, ce sera comme non avenu ; il semblera que jusqu’à lui rien n’ait été obtenu pour la liberté ; l’opposition sérieuse n’aura commencé qu’à son avènement. » Je lui répondis ; « Tout cela est parfaitement vrai et je m’y attends, mais peu m’importe ; il y a un intérêt général de premier ordre à l’élection de Thiers. Il ne peut rien dire sur les finances, les principes libéraux, le Mexique, Rome, l’Italie, qui n’ait été dit dans nos six années, et je doute qu’il puisse le dire mieux, mais il le dira autrement, et par là cela paraîtra nouveau. Il me semble, d’ailleurs, inadmissible que, lorsque des orateurs