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journaux s’entendaient pour soutenir la même liste, le succès serait tel que le gouvernement furieux nous supprimerait. » — Tant mieux ! s’écria Girardin, nous n’aurions jamais rendu à la liberté un tel service. » D’autres démontrèrent au directeur du Temps que cette crainte était chimérique ; que le gouvernement qui commettrait cette violence se déshonorerait aux yeux du monde entier. Tous les raisonnemens furent inutiles. Nefftzer partit annonçant qu’il ne reviendrait plus.

Le premier mot de Thiers quand je vins l’interroger fut : « Êtes-vous sûr d’être renommé ? — Je l’espère, comment pourrais-je être sûr ? — C’est que, si je supposais ne pas vous retrouver à la Chambre, je n’irais pas. » — Il approuvait entièrement notre programme constitutionnel : « Il faut prendre les questions de formes de gouvernement, les mettre dans un sac, le cacheter et laisser à l’avenir le soin de l’ouvrir et d’y prendre ce qu’il voudra. Je ne me présenterai donc pas comme orléaniste ; je respecte ceux que j’ai servis ; je ne serais pas fâché de leur retour, mais ce n’est pas pour amener cet événement que je rentrerais à la Chambre. J’accepte la Constitution ; le gouvernement nous appelle à la discussion, j’arrive. » — Il ne paraissait arrêté que par la crainte de ne pas réussir. — « Vous êtes un de ceux, me dit-il, qui agiront le plus sur ma détermination. Venez me voir avant de vous rendre à votre réunion, je vous donnerai ma réponse définitive. »

A huit heures, le 8, j’étais de nouveau place Saint-Georges. Il me demanda de lui accorder jusqu’au lendemain : il avait cru que Barrot serait porté dans la 6e circonscription ; il savait que nous avions désigné Guéroult ; il fallait qu’il prévînt Barrot et préparât ses amis. — Je trouvai à la réunion Bertin pour les Débats, Andral pour le Courrier du Dimanche et tous ceux qui avaient assisté à la précédente séance. Nefftzer nous avait notifié son refus de concours par une lettre à mon adresse : il reprochait à notre liste de contenir deux rédacteurs en chef de journaux parisiens ; « or, sous une législation qui fait des journaux des choses aussi importantes que fragiles, l’homme, dont la propriété peut s’évanouir au souffle d’un décret, ne peut être dans les mêmes conditions d’indépendance que l’homme dont la propriété est protégée par le droit commun ou qui n’a pas de propriété du tout ; » il ne pouvait, en outre, « admettre qu’un comité où se trouvaient six candidats entendît imposer ses choix