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est rare dans son œuvre, il s’écrie : « Qui n’a vu souvent, à l’entrée de l’hiver, au milieu des campagnes déjà ravagées, un chêne puissant, étalant au loin ses rameaux sans verdure, et ayant à ses pieds les débris desséchés de sa riche végétation ! Tout autour règnent le froid et le silence, et, par intervalles, on entend à peine le bruit léger d’une feuille qui tombe. L’arbre immobile et fier n’a plus que quelques feuilles jaunies prêtes à se détacher comme les autres, mais il n’en domine pas moins la plaine de sa tête sublime et dépouillée. Ainsi Napoléon voyait disparaître une à une les fidélités qui l’avaient suivi à travers les innombrables vicissitudes de sa vie. »

Celui qui n’avait pas déjà entendu sa merveilleuse parole éprouvait d’abord quelque déception. Il ne possédait, en effet, aucun des prestiges extérieurs auxquels des orateurs célèbres ont dû une partie de leur succès ; il n’avait pas la tête d’aigle de Lamartine, ou le profil sculptural de Guizot, ou l’élégance simple de Montalembert, ou l’organe irrésistible de Berryer, ou la belle musique de Jules Favre, ou la puissance d’accent de Rouher. Sa tête était pleine, disposée pour beaucoup recevoir et pour beaucoup garder, l’œil pétillant, d’une vivacité lumineuse, la lèvre ferme et malicieuse, la physionomie toute parlante et d’où sortaient sans cesse comme des étincelles d’esprit ; mais de sa stature courte, trapue et sans noblesse, il dépassait à peine le marbre de la tribune, sa voix criarde était impuissante aux accens solennels ou pathétiques ; ses développemens d’une longueur impatientante, semés de précautions oratoires impertinentes, abondaient en répétitions, en redondances et en banalités, de ce ton péremptoire qui vous plante les choses comme infaillibles et vous porte à les haïr ; les inspirations subites ne les traversaient jamais ; tout y était préparé, et avant d’être porté à la tribune avait été essaye sur les familiers, fragmens par fragmens ; pas un seul de ces grands coups qui soulèvent l’auditeur et le rejettent sur lui-même, haletant d’émotion ; une multitude de petits coups assénés avec dextérité et prestesse. D’abord, c’était, plutôt qu’une action oratoire imposante, une causerie délicieuse qui donnait le plaisir de ce qu’il y a de plus sensé, de plus net, de plus vif, de plus clair dans le langage français ; peu à peu, les développemens prenaient de l’ampleur, les répétitions diminuaient, la diction acquérait de la force, une passion communicative animait, portait, poussait les raisonnemens, la voix devenait vibrante, le geste dominateur,