30 mai. — À deux heures de l’après-midi, 100 Russes, 100 Français et 40 Italiens réunis sous le commandement supérieur du colonel russe de Vogack embarquent avec armes et bagages sur un chaland ponté mouillé à 7 milles de l’embouchure du Peï-Ho. Trente Cosaques et autant de chevaux occupent depuis le matin le pont avant de ce chaland. Les vivres, les armes, les munitions et les hamacs sont déposés dans la cale.
À trois heures trente, remorqués par un vapeur, nous mettons le cap sur l’entrée de la rivière. Le Koreetz, canonnière russe, nous escorte. Le colonel de Vogack, un enseigne de vaisseau russe, des mécaniciens et des chauffeurs russes, prêts à remplacer en cas de besoin l’équipage chinois, ont pris passage sur le remorqueur.
31 mai. — À deux heures du matin, nous appareillons. Le ciel est couvert et la nuit très obscure. Une grande jonque chinoise, toutes voiles dehors, sans feux, passe à contre-bord et tellement près, que les chevaux, effrayés à la vue de ces immenses ailes plus noires encore que la nuit, qui semblent vouloir fondre sur eux, poussent des hennissemens, se cabrent, et menacent de rompre leurs liens. Les Cosaques ont grand’peine à les rassurer et à les calmer. Les Chinois, non moins effrayés que les chevaux, poussent d’ailleurs, de leur côté, des cris assourdissans.
Un peu plus tard, nous apercevons sur notre droite, et assez loin, un sampan mouillé dans lequel un Chinois agite un fanal. Il ne peut plus craindre d’être abordé ; échangerait-il alors des signaux avec la terre ? Cependant, aucun éclat lumineux ne vient briser la régularité de la ligne noire que nous avons devant nous.
Bientôt le jour paraît et nous permet de distinguer une côte basse, uniforme, ébréchée par le Peï-Ho ; c’est la ligne des forts de Takou.
Un silence complet règne à bord. Les hommes sont dans la cale et se tiennent prêts à aveugler une voie d’eau avec des couvertures ou des hamacs. Les officiers sont sur le pont arrière, à côté de l’homme de barre, un vieux Chinois qui ne paraît pas se rendre compte du rôle qu’on lui fait jouer. Lui seul pourrait dire, en passant entre les forts, ce que contient l’embarcation qu’il gouverne ; mais Rahden se penche vers lui, lui fait signe de se taire, et lui montre en même temps la crosse d’un revolver