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déroutait. Encore la mode est-elle si impérieuse que, même dans les costumes historiques les plus corrects des temps modernes, on retrouve la trace de l’époque où ils ont été dessinés. Les documens consultés de 1815 à 1840 sont ceux dont on se sert encore ; cependant, à certains détails des aquarelles qui se sont inspirées d’eux, on voit qu’elles datent de Louis-Philippe ou de Charles X.

Les théâtres subventionnés confectionnent dans leurs ateliers propres les habillemens de leur répertoire ; les théâtres d’opérette ou de féerie s’adressent à des maisons spéciales, dont l’une excelle dans la « fantaisie, » tandis que d’autres ont le monopole des ajustemens « de caractère. » Ce qui n’empêche pas ces derniers d’appointer un personnel fixe, sous les ordres d’une « maîtresse-costumière, » pour les réparations et l’entretien. Quant aux toilettes « de ville, » seules nécessaires aux pièces modernes, elles sont à la charge des acteurs, sauf de rares exceptions : à la Comédie-Française, par exemple, tous les vêtemens portés en scène sont fournis aux sociétaires et pensionnaires, soit en na- ture, soit en argent, et imputés sur les 120 000 francs de ce chapitre de dépense. Au Palais-Royal, toutes les fois qu’un artiste doit se déshabiller devant le public, ou seulement retirer un effet quelconque, fût-ce une cravate ou une paire de pantoufles, cet objet, suivant une tradition invariable, est payé par la direction.

D’ailleurs, ces habits de rôle exigent parfois un « truquage » particulier : tel doit apparaître trempé par la pluie battante que vient de recevoir son maître ; on l’enduit d’une solution de gomme qui imite le brillant du drap mouillé. Pour jouer le Chemineau, à l’Odéon, il fallait la défroque navrée d’un coureur de grandes routes. L’acteur « travailla » par de savantes préparations un pantalon de cocher, le râpa, l’exposa à la pluie pour lui enlever sa couleur. Dans le Roi s’amuse, la saleté inquiétante des loques de Saltabadil donnait, rien qu’à le voir, envie de se gratter. Le marché du Temple, dernière station des guenilles parisiennes avant le dépérissement final, fournit en abondance des livrées de gueuserie réelle à qui veut en endosser une feinte. Les toilettes « de ville » ne sont pas toujours les plus conformes à la vérité scénique : on voit, suivant les ressources personnelles de l’actrice, des « femmes d’employés » qui cherchent une place de 1 500 francs et portent sur leur dos une robe