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de 2 000, et des « princesses archi-millionnaires » parées de tissus à 19 sous le mètre.

À l’Opéra et à l’Odéon, les costumes, comme les décors, de- viennent propriété de l’Etat aussitôt qu’ils ont servi une fois. Aux Français, ils appartiennent exclusivement à la société des comédiens. Un système mixte fonctionne à l’Opéra-Comique, où le directeur est comptable, vis-à-vis du domaine, du matériel estimé à 120 000 francs au début de son entreprise, et conserve le bénéfice des plus-values, décuples peut-être, qui résulteront de sa gestion.

Le costume riche, pour un artiste en évidence, — celui de Nevers dans les Huguenots par exemple, — coûte de 700 à 800 francs. Mais il en est de beaucoup plus chers : le manteau seul d’Hamlet, aux Français, incrusté de joyaux et couvert de broderies qui avaient demandé trois mois de travail, revint à 6 200 francs. Un opéra nouveau, avec le corps de ballet, la figuration et les chœurs qui changent plusieurs fois de travestissement, représente en moyenne 600 costumes. Pour alléger les frais d’un effectif aussi onéreux, l’on démolit, l’on requinque et l’on transforme les anciens affublemens, incarnés en de nouveaux avatars. Les gazes, les gais chiffons dont la jeunesse ne dure qu’un jour, sont mis en réforme. Chaque danseuse a, dans ses jupons bouffans, 15 à 16 mètres de tarlatane, et l’Académie nationale de musique en consomme 75 000 mètres par an.

Aussi l’achat des matières premières est-il un des soucis de cette vaste administration : il se trouve des étoffes de luxe dont la valeur tombe au-dessous de leur prix de revient, soit parce qu’elles se sont démodées trop vite, soit parce que la consommation n’a pas répondu aux espérances des fabricans. L’Opéra est toujours prêt à les acquérir : il achètera d’un seul coup pour 60 000 ou 80 000 francs de colles que l’on veut liquider, à la condition de ne les point payer trop cher. Il emmagasine ainsi, pour les mettre en œuvre suivant ses besoins, tantôt un stock de velours ciselé, tantôt de souples brochés aux nuances tendres, dont raffolèrent les élégantes dans la saison où ils coûtaient 25 francs le mètre et qui, soldées pour 6 francs, moulent d’imposantes dames choristes ou drapent en tanagréennes les attractives prêtresses d’Astarté.

Le chef de ce département, M. Bianchini, possède, dans le bureau où il dessine ses personnages et échantillonne ses esquisses