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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/879

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aiment et savent se grimer, n’hésitent jamais à sacrifier leur coupe de barbeaux exigences de leurs rôles ; les grands chanteurs y mettent moins de complaisance, mais les choristes devraient toujours être astreints à se raser et ne pas se montrer, par exemple, en prêtres égyptiens avec des moustaches de grognards.

Costumé et coiffé, l’artiste n’a plus que son visage à « faire ; » on ne se maquille pas au théâtre comme dans la vie, pour effacer les rides, mais quelquefois pour s’en fabriquer. Ce sont rides et laideurs d’un soir, que l’on prend gaiement parce qu’elles ne tiennent pas et qu’il suffit, pour les effacer, d’y passer l’éponge. Rouge et cold-cream, blanc-gras et crayon noir, sont les élémens premiers de ce badigeon que l’on nomme un « mastic. » La rampe est une fée contrariante ; elle fausse les tons, enfume les teints clairs et donne du poli aux peaux granulées. Sous sa lumière crue, les lignes délicates s’atténuent jusqu’à l’insignifiance et les traits trop accentués s’estompent jusqu’à la poésie. L’actrice, sur toute sa chair visible de la salle, étend une couche épaisse de blanc liquide qui forme vernis en séchant. Elle recouvre cette couche d’un soupçon de graisse parfumée et la velouté d’un nuage de poudre. Elle avive ses lèvres de carmin, allume ses joues de vermillon, lustre ses dents à l’émail, allonge ses yeux au k’hol, dessine ses sourcils à l’encre de Chine et, s’il le faut, dissimule la patte d’oie sous un réseau de veines bleues.

Ainsi consciencieusement enluminée, telle « ingénue » de quarante ans, déjà fatiguée d’être une « petite bécasse » et aspirant à passer « jeune première, » redevient pour quelques heures à peine nubile, si candide et si fraîche qu’un ange d’innocence, suivant le vers du poète,


Baiserait sur son front la beauté de son cœur !


Vte G. d’AVENEL.