Douze ans plus tôt, en France, un tel jugement aurait fait réfléchir la gauche tout entière ; mais les hommes politiques qui avaient, entre 1881 et 1885, la responsabilité de la République n’avaient point de temps à perdre.
Aussi les ingénieuses propositions de Fauvety, qui possédait, lui, une solution républicaine de la question de Tunisie, demeurèrent-elles inaperçues en France, si ce n’est peut-être dans les loges maçonniques, assez engouées de ce philosophe : il demandait que la France réprimât les ravages des Kroumirs et facilitât ensuite l’établissement d’une colonie italienne en Tunisie. Fauvety, d’ailleurs, en fait de détachement, était encore dépassé par un autre rédacteur des États-Unis d’Europe, qui expliquait que la France « ferait mieux de ne s’occuper de rien du tout. » C’est à la politique d’effacement systématique et d’abstention complète qu’aboutissait l’ensemble de la doctrine ; et l’on voyait A. S. Morin, — breveté bon républicain, tant à l’Hôtel de Ville qu’au Grand -Orient, pour ses brochures contre le célibat des prêtres et contre la confession, — inviter Ferry à évacuer la Tunisie et à reconnaître ses torts envers les Tunisiens, comme l’Angleterre, disait-il, venait de reconnaître les siens envers les Boers... Il proclamait que la conquête de la Tunisie était injuste comme toute conquête ; la colère échauffant sa dialectique, il se faisait l’avocat de tous les peuples contre Ferry, et pourchassait nos petits soldats, partout à travers le globe, de ses doléances de cosmopolite éploré. « Le Soudan aux Soudaniens ! » s’écriait-il un jour. La formule était si imprévue, et l’application si malaisée, que Charles Lemonnier lui-même montra, dans une note, quelque hésitation à suivre jusqu’au Soudan les utopies de Morin.
Mais lorsque M. Georges Perin lançait en pleine Chambre une formule analogue : « Le Tonkin aux Tonkinois ! » les applaudissemens du parti radical retentissaient. C’est que, derrière cette devise, toute une philosophie politique se dessinait, singulièrement caressante pour des regards républicains. On opposait à Ferry les grands ancêtres, qui s’étaient piqués de travailler pour l’affranchissement universel de l’humanité ; et leurs profils historiques, s’alignant sur l’horizon toujours étroit du Parlement, semblaient condamner, d’un froncement de sourcils, l’œuvre conquérante de nos troupes coloniales. Contre la politique de Ferry, Maigne, un ancien constituant de la seconde République, alléguait les droits de l’homme ; M. Joseph Fabre s’armait des principes