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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/893

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sur quelques chapelles de couvens étaient, en réalité, des trophées bien éphémères ; le parti républicain s’ennuyait et risquait d’ennuyer la France. Alors surgissait, en beaucoup de cerveaux, l’idée d’appliquer, en toute leur ampleur, les programmes autrefois affichés par les adversaires de l’Empire libéral. Il y avait dans ces programmes des articles, lointains en leur portée, qui tendaient à la réforme de nos institutions militaires, à la transformation de nos maximes de politique extérieure ; le moment était venu, peut-être, de se mettre à l’œuvre. Ferry, par sa politique coloniale, occupa le pays et occupa son propre parti ; et ces articles d’autan continuèrent à demeurer lettre morte.

Il ne faisait pas bon, devant lui, attaquer l’armée. « Ne mettons pas si aisément nos vieux soldats sur la sellette, » ripostait-il aux radicaux qui demandaient si l’amiral Cloué était républicain ; et les radicaux durent attendre, longtemps encore, qu’on leur laissât le droit d’user de cette sellette. Comme, un autre jour, M. Clemenceau exigeait une enquête sur les opérations militaires en Tunisie : « Ce serait meurtrier pour la discipline, » objectait Ferry ; et d’un geste il repoussait cette manie « républicaine » de traiter l’armée en suspecte. Son langage avait d’autant plus de poids qu’il était celui d’un néophyte, et c’est avec fierté qu’en 1885, à Bordeaux, il parlait de son évolution : « Quand on vit sous la servitude, disait-il, on se laisse aller aisément à rêver d’un gouvernement idéal, on se console dans la recherche de l’absolu. En est-il une preuve plus manifeste que les idées qui avaient cours jadis sur la guerre et sur l’armée ? Vous souvient-il que sous l’Empire nous ne disions pas beaucoup de bien du militarisme ? Vous rappelez-vous ces vagues aspirations vers le désarmement général, le détachement manifeste du véritable esprit militaire, cette tendance à la création d’une sorte de garde nationale universelle, qui caractérisaient la démocratie d’alors ? Ces idées-là eurent des partisans ; plusieurs d’entre nous les ont professées, y ont incliné, s’y sont laissé prendre. Mais, je vous le demande, en est-il un seul aujourd’hui qui n’ait pas été converti par les événemens ? Ce pays a vu la guerre de 1870 ; il a tourné le dos pour jamais à ces utopies périlleuses et décevantes. » Ferry savait, hélas ! que tous n’étaient pas convertis ; mais, si quelque chance subsistait d’arracher à l’impénitence certains de ses coreligionnaires, c’était en leur laissant croire qu’ils étaient déjà des pénitens. Sous la poussée du remords et