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du mépris, les maximes antimilitaristes de l’archaïque orthodoxie, qui derechef prétendaient affronter le théâtre parlementaire, étaient retenues en quarantaine dans les coulisses.

Elles y étaient rejointes, bientôt, par une certaine conception « républicaine » de notre politique extérieure. Un maçon de quelque réputation, — le même qui devait, au couvent de 1889, signifier à ses frères que, dix ans plus tard, personne en France ne bougerait hors de la maçonnerie, — fit paraître en 1883, avec l’approbation d’une partie de la presse de gauche, un livre sur la politique extérieure de la République française. Faisant bon marché des « arrangemens de la diplomatie, » il y dédaignait comme une « abstraction » la grandeur de la France dans le Levant, et invitait notre République, définitivement inaccessible à toute ambition militariste, à se conduire en État économique, — ce qui voulait dire, en son langage : État commercial et industriel, — et non point en État dynastique. « Que sommes-nous allés faire au congrès de Berlin, à Dulcigno, en Tunisie ? » demandait M. Fernand Maurice : il s’irritait, au nom de la République, que la France eût fait entendre son mot et chargé ses soldats de le répéter, s’il en était besoin, dans leur idiome à eux. Ce livre était comme un symptôme des pensées ultimes d’une certaine catégorie de républicains : Ferry, qui les connaissait bien, leur barrait la route. Il disait tout haut, pour les réfuter et parfois pour les flétrir, les illusions inexprimées, ou même inavouées, dont ses anciens coreligionnaires conservaient le culte. Édifier une France abstraite, hors du temps et de l’espace ; l’identifier avec une notion abstraite, celle de république ; définir, par une sorte de déduction, par des a priori présomptueux, la politique extérieure qui s’impose à une république ; et oublier que la France vit en Europe, héritière d’une histoire, entourée de voisins : ce n’est rien moins qu’une malfaisante folie. Ferry s’en rendait compte, et ne ménageait, ni dans ses propos ni dans ses actes, ce rêve de « renoncement diplomatique » dont il accusait un jour les « intransigeans, » et qui devait aboutir, d’après ses propres paroles, à la « suppression de la diplomatie, faisant pendant à la suppression des armées permanentes. »


Lorsque, en 1885, Ferry succomba, frappé de mort politique, il avait construit l’engrenage auquel, pour un temps, son parti n’oserait plus se dérober ; la République, bon gré mal gré, demeurerait