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la légataire de l’homme d’État qu’elle avait congédié. L’heure n’est point venue d’établir une balance entre les avantages et les charges d’un pareil legs. Mais, en tout état de cause, soit que nos sympathies s’aventurent, allègres et confiantes, à la suite des héritiers de la pensée de Ferry, soit au contraire qu’elles demeurent prudemment fidèles à cette école politique qui souhaitait que la France, se retranchant sur elle-même, n’affirmât sa personnalité qu’en Europe, un fait demeure acquis : c’est que l’initiative de Ferry fut une défaite décisive, irréparable, pour les utopistes qui auraient voulu que la France, naïvement fière de devenir l’hôtelière du cosmopolitisme universel, n’affirmât sa personnalité nulle part et renonçât à faire acte de nation.

La République, telle que Ferry la laissait au moment où il quittait le pouvoir, s’était faite conquérante au dehors ; elle était demeurée, en Orient, l’avocate efficace des intérêts religieux ; elle avait respecté nos institutions militaires, éconduit les monomanes, toujours anxieux d’un coup d’Etat, qui plus tard siffleront la gloire de nos armes comme un péril pour la constitution. Ces monomanes, çà et là, avaient bien essayé de se plaindre que la presse algérienne eût offert une épée d’honneur à M. le général de Négrier, ou que le même général, chargé d’agir au Tonkin, châtiât avec âpreté les révoltes et les pirateries. Mais leurs murmures expiraient aux pieds de la France relevée, de cette France où la jeune école laïque aspirait à substituer à la vieille foi religieuse la dévotion à la patrie... Et les cosmopolites de France se rencontraient avec les patriotes de l’étranger, dans une commune attente de l’aventure, prochaine ou lointaine, qui leur permettrait, aux uns et aux autres, de faire retomber la gauche dans les doctrines et dans les caprices de sa prime enfance, et d’aboutir, si possible, — peut-être avec la complicité de cette école laïque elle-même transformée, — à rendre la France moins « étroitement » française et la République plus « fermement » républicaine.


GEORGES GOYAU.