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100 000 pieds d’ananas, et les vendait 5 francs au lieu d’un louis ; qui de 500 000 francs déduit 100 000 francs pour frais de culture, de châssis, de charbon, restent 400 000 francs nets, rente splendide, « sans la moindre copie, » observait Balzac. Le plus beau est qu’il emmena Théophile Gautier à la recherche d’une boutique sur le boulevard Montmartre, pour la vente des ananas de son paradis horticole imaginaire. La boutique, peinte en noir, réchampie de filets d’or, devait porter sur son enseigne en lettres énormes : « Ananas des Jardies. » Quant à ceux-ci, il les voyait, respirait le parfum tropical des serres, les décrivait, passait d’un rêve à un autre, et jouait cent fois la scène de Perrette avec son pot au lait. Si on lui eût parlé d’une maraîchère de la banlieue parisienne, riche de quatre millions, portant aux oreilles d’énormes diamans, ayant des breaks attelés de chevaux de prix, conduits par des domestiques en livrée, ce qui ne l’empêchait pas de venir s’asseoir tous les jours, à quatre heures du matin, sur ses paniers, comme font ses camarades moins fortunées ; j’imagine qu’il n’eût pas été autrement étonné, et qu’il eût vu dans cette histoire plus ou moins véridique la démonstration péremptoire de ses calculs fantastiques. Mais il manque souvent un grain de pratique aux plus belles conceptions, comme il manque un grain d’idéal aux projets les mieux enduits de raison positive.


VICTOR DU BLED