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féministes ; supposez qu’elle entende ce qu’y disent les plus raisonnables et les plus modérés des orateurs : et essayez de vous figurer sa stupeur ! En fait, M. Chabaud trace le portrait de « trois institutrices d’autrefois. » Libre à lui de choisir un titre plus « actuel ! » Encore ne fallait-il pas le choisir à contresens. Il ne s’est pas aperçu que ses prétendus précurseurs du féminisme représentent éminemment le courant d’idées opposé aux théories féministes. C’est, à plaisir, égarer le lecteur. Cela est d’autant plus regrettable que dans ce livre, où il s’applique à montrer ce qu’on a tenté jadis pour l’éducation et l’instruction de la femme, M. Louis Chabaud remet en leur jour des idées justes, de celles qu’il est aujourd’hui opportun de rappeler par esprit d’équité et dans l’intérêt du vrai.

Nous croyons aisément et nous répétons volontiers qu’avant la fin du XIXe siècle on n’avait rien fait pour relever le niveau de l’éducation féminine. Cela est faux de tous points. C’est, — pour ne pas reprendre les choses de plus loin et pour simplifier le problème, — se tromper de deux cents ans. Dès le milieu du XVIIe siècle nous voyons que la question fut posée par Mlle de Scudéry[1]. A la fin du siècle, ce sont des écrivains ecclésiastiques qui réclament la réforme que la faveur d’un monarque absolu fera bientôt aboutir. C’est l’abbé Claude Fleury qui écrivait en 1686 : « Ce sera sans doute un grand paradoxe de soutenir que les filles doivent apprendre autre chose que leur catéchisme, la couture et divers petits ouvrages : chanter, danser et s’habiller à la mode, faire bien la révérence et parler civilement ; car voilà en quoi consiste pour l’ordinaire toute leur éducation. » Et, l’année suivante, c’est Fénelon qui commençait son Traité de l’éducation des filles par ces lignes non moins significatives : « Rien n’est plus négligé que l’éducation des filles ; la coutume et le caprice des mères y décident souvent de tout : on suppose qu’on doit donner à ce sexe peu d’instruction. « Il indiquait, au courant de son traité, les lacunes principales que cette éducation lui semblait présenter et, par le minimum de connaissances qu’il exigeait, il est aisé de mesurer le degré de la commune ignorance. « Apprenez à une fille à lire et à écrire correctement. Il est honteux, mais ordinaire, de voir des femmes qui ont de l’esprit et de la politesse ne savoir pas bien prononcer ce qu’elles lisent. Elles manquent encore plus grossièrement pour l’orthographe ou pour la manière de fermer ou de lier les lettres en écrivant : au moins accoutumez-les à faire leurs lignes droites, à rendre leur caractère

  1. Voyez dans la Revue du 15 juillet 1899 l’étude de Mme Arvède Barine sur la Grande Mademoiselle.