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net et lisible. » Pour les dangers que cette négligence entraînait sûrement, ils ne pouvaient échapper à la pénétration d’esprit d’un Fénelon. Comme il le remarque finement, mal instruite et inappliquée, la jeune fille devient précieuse, ou coquette, ou visionnaire ; sa curiosité se tourne en commérages ou en intrigues ; car, « n’ayant pas de curiosité raisonnable, les jeunes filles en ont une déréglée. » Fénelon a dit sur le sujet, en quelques mots, avec l’aisance souveraine et l’agrément de sa phrase limpide ce que d’autres depuis s’essoufflent à redire.

L’éducation à laquelle se réfèrent tous ces reproches est celle des couvens. Que cette éducation fût devenue détestable, nous n’y contredirons pas. Nous nous bornerons à remarquer qu’elle était un pis aller. Tout le monde était d’avis dans l’ancienne France que la jeune fille doit être élevée à la maison, auprès de sa mère, à condition toutefois que cette mère fût capable et digne de l’élever ; on convenait seulement que l’éducation du plus mauvais couvent vaut encore mieux que celle donnée par une mère ignorante ou frivole. Ajoutons que, s’il n’était guère surprenant de voir les religieuses auxquelles on confiait le soin d’élever les filles incliner vers un idéal monastique, d’autre part leur programme d’études était sensiblement celui dont l’esprit laïque était, du temps de nos ancêtres, tout prêt à s’accommoder. Ç’a été la constante tradition, en pays gaulois, de croire que l’esprit de la femme ne doit pas se hausser au-dessus des choses du ménage. C’est à peine si Molière, dans les vers fameux des Femmes savantes, a exagéré l’opinion qui, autour de lui encore, était la plus répandue. Quoi qu’il en soit, c’est contre la piété des couvens autant que contre leur enseignement qu’est dirigée la réforme. Fénelon s’est trouvé en avoir tracé. le programme, celui que, sans l’avoir espéré, il verra mettre aussitôt à exécution à Saint-Cyr, et qui dès lors, pendant deux siècles, ne cessera de servir de modèle.

À vrai dire, la pédagogie de Fénelon est en défaut sur un point essentiel. Il souhaite qu’on rende l’étude agréable. Au sentiment du devoir, à la contrainte de l’obligation, il substitue l’attrait du plaisir. Que l’enfant ne se fasse pas de la vertu une idée triste et sombre ! Que la sagesse se montre à lui avec un visage riant. « Il faut que le plaisir fasse tout. » C’était déjà l’avis de Montaigne ; ce sera celui des philosophes du XVIIIe siècle et généralement de tous les moralistes qui croient à la bonté originelle de notre nature. Cette théorie est pour l’éducateur la plus fâcheuse qu’on sache. D’abord elle le laisse désarmé vis-à-vis des enfans qui sont décidément réfractaires au charme de l’étude