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ailleurs leurs divergences, se sont accordés ; et c’est un point sur lequel ils n’ont pas varié.

En second lieu, l’éducation des femmes sera en rapport avec le rang que chacune devra occuper dans la société. « Si une fille doit vivre à la campagne, de bonne heure tournez son esprit aux occupations qu’elle doit y avoir, et ne lui laissez point goûter les amusemens de la ville ; montrez-lui les avantages d’une vie simple et active. Si elle est d’une condition médiocre de la ville, ne lui faites point voir les gens de la Cour... » Fénelon avait en vue une société réelle où les classes étaient nettement séparées, et il rêvait d’une cité chimérique où les castes eussent été tout à fait fermées ; mais c’est d’ailleurs dans tous les temps et dans toutes les sociétés qu’une éducation est funeste si elle nous inspire le dégoût de milieu où nous allons vivre. Se déclasser, ce n’est pas toujours déchoir ; celles qui, pour avoir pris des goûts trop relevés, en viennent à trouver leur condition insupportable, sont, elles aussi, à leur manière, des déclassées ; et c’est la manière qui prête le plus à souffrir. « Il n’y a guère de personnes à qui il n’en coûte cher pour avoir trop espéré ! » Remarque dont on souhaiterait qu’elle pût être un avertissement !

Enfin pour les femmes le savoir n’est pas un but, ce n’est qu’un moyen. L’acquisition des connaissances positives n’a de valeur qu’autant qu’elle sert à rendre le jugement plus droit et l’âme plus forte. Il s’en faut que le programme d’études que trace Fénelon soit, même d’après nos idées d’aujourd’hui, trop restreint ; puisqu’il y fait figurer avec les élémens du droit, l’histoire, les livres d’éloquence et de poésie, et même le latin. Mais s’il autorise les lectures profanes sérieuses, c’est pour dégoûter des comédies et des romans ; s’il conseille l’étude des histoires grecque et romaine, c’est parce qu’on y trouve des exemples de courage et de désintéressement. De même pour l’histoire de France et pour celle des pays étrangers, d’où on peut tirer un enseignement moral. S’il proscrit l’italien et l’espagnol, c’est parce que « ces deux langues ne servent qu’à lire des livres dangereux et capables d’augmenter les défauts des femmes ; » s’il permet le latin, c’est à celles qui ne risquent pas d’en devenir plus vaniteuses. Car une femme n’aura guère d’occasions de se servir de ces connaissances par elles-mêmes stériles, mais elle aura quotidiennement besoin de bon sens et de fermeté. La question n’est pas si elle aura appris plus d’histoire et plus de latin ; mais, en les apprenant, est-elle devenue plus capable de sérieux, de vertu et de piété vraie ? Tout est là.

Fénelon n’avait prétendu qu’à jeter quelques idées sur le papier.