non pas comme un Européen parmi des peuplades intérieures, mais comme un nain parmi des géans, ou plutôt comme un sauvage survenant, faible et nu, dans une de nos grandes cités. Il lui faut tout apprendre à la fois : à supporter des vêtemens qui le gênent, à se servir des engins de la civilisation qui sont compliqués, à épeler les mots. Nouveau venu dans un pays dont il ne connaît pas la langue, n’en connaissant d’ailleurs encore aucune, il est forcé, pour nous comprendre, d’acquérir à la fois la notion et le mot. Pour former ce mot, il lui faut s’y prendre comme le sauvage, confondant sans cesse les sons proches comme l et r, et cherchant à composer plutôt par répétition de la même syllabe que par alternative. Comme le sauvage aussi, il ne sent guère la nécessité de se vêtir. Il a bien le goût de l’ornement, mais il a le dégoût de l’habillement. Pour prendre contact avec les réalités extérieures il faut qu’il applique tous ses sens à la fois, et surtout le sens le plus grossier, mais le plus sûr : le toucher. Aucun objet ne peut être délimité dans l’espace tant qu’il ne l’a point palpé de ses mains, et, comme il faut pour sa sécurité qu’il les délimite tous, l’enfant est naturellement un touche-à-tout.
En même temps, la nécessité lui apprend tout de suite la méthode d’observation recommandée par Taine au voyageur : il questionne. C’est par là peut-être qu’il est le plus insupportable aux gens superficiels, et c’est par là cependant qu’il leur serait le plus utile, s’ils savaient profiter de ses curiosités. Toutes les questions de l’enfant sont logiques, ou, si elles ne le sont pas, elles ne sont que les suites logiques des réponses illogiques qu’on lui a faites ou des notions fausses qu’on lui a données. Par là, il peut beaucoup nous apprendre. Bien souvent, ses questions nous obligent de préciser nos propres connaissances sur une foule de sujets où nous nous croyions auparavant suffisamment informés. Faute d’y avoir réfléchi, nous croyions savoir : obligés de nous en rendre compte clairement à nous-mêmes pour le rendre clair à un autre, nous découvrons que nous ne savions pas. Le petit explorateur ne pouvant encore comprendre les mots abstraits dont nous nous payons entre adultes, c’est une vue directe, expérimentale, pratique des choses, que nous devons posséder pour la lui fournir. A la monnaie fiduciaire des mots qui n’a pas cours encore chez lui il nous faut substituer l’or trébuchant et sonnant des idées.
Ainsi l’enfant nous apprend-il à regarder le monde, parce